Une vie se construit aussi de déconstructions. Elles laissent hébété au point que la moindre pensée ou parcelle de peau est tout occupée par la souffrance puis la colère puis le vide puis les questions dont la plus lancinante est ce « pourquoi » qu’on écrit parfois « pour quoi » dans cette tête qui finit par en avoir le tournis. Surtout qu’on ne sait pas, et on ne le saura jamais, pourquoi et pour quoi c’est cela qui a été vécu, de part et d’autre, un matin ou un soir ou une nuit, et peut-être même, un comble, un beau jour d’automne ensoleillé. Ni non plus pourquoi et pour quoi on est si seul face à ce qu’on aurait bien préféré n’être qu’un cauchemar dont le réveil du matin sonne enfin la fin et bien souvent l’oubli.
Oublier, on n’y arrive pas non plus, d’autant que ce qu’on a vécu et qu’on aurait bien aimé ne jamais vivre, c’est irréparable. C’est l’irréparable. Qui sait comment faire face à cela ? On ne peut pas aller à la déchetterie jeter ce pan de soi qui reste et qui pendouille comme une loque parce qu’il n’y a pas de lieu pour les cœurs brisés autre que soi-même brisé. D’ailleurs, on ne veut pas oublier. Et c’est vrai, on n’oubliera pas. Jamais. Il y aura un jour déjà, deux ans déjà, sept ans déjà, dix ans déjà et comme aujourd’hui vingt ans déjà.
Mais, autour de ce déjà et au-devant de ceux qui sont dans ce manque-là de ce qui était tout, vient la vie qui se reconstruit de ces reconstructions quasi inimaginables qui nous bouleversent quand on se rend compte que, durant une heure ou deux, il est arrivé ce moment où on a mis entre parenthèse cet avant dont on aurait tant aimé qu’il soit éternel au point d’avoir eu l’idée, une fois ou deux, ou plus longtemps parfois, de sombrer aussi dans le plus profond des noirs de tous les noirs possibles.
C’est cela, reconstruire. Porter le vide sur la hanche comme une mère son enfant tout en vaquant à ses occupations. Pour quoi ? Pour vivre tous ces maintenant qui se succèdent en un présent éternel.