L’autre jour, on a écouté longtemps, et c’était important de prendre de ce temps de l’écoute, quelqu’un qui avait besoin d’être consolé et qui a fini par poser cette question : « Et toi ? Comment fais-tu ? » En répondant : « Je parle à mes blessures, c’est une façon pour moi de leur faire face. »
C’est alors qu’est revenue en mémoire une question du lundi posée en mars 2018. Après avoir relu le texte, on a modifié la question, mais c’est tout comme car le chagrin est hélas d’une actualité permanente.
« C’est tout à coup que quelqu’un se met à parler de soi-même lors d’une réunion entre collègues, mettant en mots ainsi la douleur qu’on a déjà perçue dans des gestes, dans une maigreur, dans un style vestimentaire, dans des essoufflements, dans des cernes, dans des rires ou dans les aigus d’une voix, dans des épaules qui tombent ou des mains qui tremblent. Ensuite, les échanges sont beaux et riches tout autour des tasses de thé ou de café pour apporter réconfort et témoignages à l’appui. Une question est posée :
- Et toi ? Comment fais-tu ?
On va chercher l’assiette de shortbreads qu’on pose sur la tablette repeinte en bleu vif et on dit que, si blessures il y a eu, si blessures il y a encore, si blessures il y aura certainement, on a toujours fait en sorte d’exister aussi avec elles et, dans les meilleurs des cas, en dehors d’elles car elles ne sauraient réduire notre être à la souffrance et à n’être que plaie. C’est ainsi que doit aller la vie. Il ne s’agit pas de les nier et de faire comme si elles n’existaient pas : bien au contraire, il faut leur laisser de la place ou plutôt, il faut leur laisser de l’air car une souffrance étouffée s’enkyste et devient inflammatoire. Mais pas toute la place car sinon elles ont le monopole du souffle.
Comme on parle à un enfant à qui on explique qu’il doit partager, on peut parler à ses blessures en leur disant : « Ecoutez, vous, les blessures, vous n’êtes pas toutes seules ici. Poussez-vous un peu quand même pour qu’il y ait de la place pour le sourire, l’émerveillement devant une fleur, la lumière du ciel ou la simple communauté de la vie. Poussez-vous pour que je puisse respirer un peu. Vous êtes là, je le sais et je ne vous veux pas de mal. Vous êtes les blessures ; je sais bien ce que vous êtes ; je n’ignorerai jamais la cicatrice là sur la peau ou au cœur de mon cœur ou le tréfonds de mon ventre. Oui, vous êtes les blessures et vous êtes là dans ma vie. Je ne peux donc pas vous ignorer. Si je faisais comme si vous n’étiez pas là, vous seriez affolées et, dans votre douleur et dans un terrible sentiment d’abandon, vous ne pourriez que croître de plus belle, exigeant toute mon attention. Mon attention, vous l’avez, soyez-en certaines. Je vais prendre soin de vous, vous prendre à bras le corps pour vous apaiser. Quand vous aurez compris que je vous sais inoubliables, certes, mais que je ne vous laisserai pas me boucher la vue, nous irons d’amble, vous en repères sur mon chemin, moi debout regardant l’horizon. »
D’où la question du lundi : Pensez-vous qu’en parlant à ses blessures on puisse leur faire face ?
(1) Lundi 26 mars 2018. La question du lundi
se poser des questions - Page 3
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La question du lundi : parler à ses blessures pour ainsi leur faire face.
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La question du lundi. Des nombres désincarnés.
On l’a déjà dit ici, et plusieurs lecteurs de ce blog ont aussi fait ce choix, on n’écoute plus que très peu les informations. On se tient informé quand même et quelque chose continue à choquer, qui montre combien notre société tend vers la déshumanisation. Il y a bien sûr toute cette violence, toutes ces guerres, toutes ces insultes que des débatteurs peuvent se dire, tout ce manque d’écoute, toute cette interdiction de la contradiction, toute cette misère matérielle, humaine, culturelle… Mais il y a surtout ces courbes, ces cartes, ces pourcentages, et ces nombres égrenés par des voix monocordes, quotidiennement, sur le nombre d’hospitalisations, le nombre de personnes en réanimation et, le pire, c’est le nombre de morts à qui on n’accorde plus qu’un court passage sur un bandeau déroulant. Dimanche 11 octobre, 46 morts de la Covid. On en parle un peu, de ces personnes décédées, en traçant à grands traits leurs points communs. Mais qui sont-ils ? Ils ont bien un prénom, ils ont bien un visage… Tous les morts ont des noms et des visages, qu’ils décèdent de la Covid, du cancer, d’un accident … Dans les mondes totalitaires, le premier pas vers la déshumanisation était d’enlever aux êtres humains leur prénom pour leur donner un numéro.
D’où la question du lundi : Avez-vous remarqué cela aussi, l’importance de ces nombres, de ces courbes, de ces cartes, pour parler des malades et des morts ?