Puisqu’on a décidé de reprendre la bonne habitude de faire une salade à chaque repas, il est important d’en avoir une provision pour au moins trois ou quatre jours. Sur l’étal, il a fallu choisir : la roquette et ses feuilles vert sombre ? la scarole coquette aux feuilles pâles et alanguies ? la laitue si printanière ? Ah, mais voilà la mâche encore terreuse : on en emportera de quoi faire plusieurs saladiers, dont un ce midi. On sait qu’il faudra bien la nettoyer : on enlèvera le petit bout de racine avec un couteau, d’un geste précis ; on la lavera dans au moins trois eaux.
Dans la cuisine, après le lavage des feuilles, et après avoir utilisé l’eau pour arroser les plantes, comme il y a beaucoup de mâche, on en a fait un tas sur un grand torchon de lin avant de la mettre, en trois ou quatre fois, dans l’essoreuse en plastique qui tourne comme une toupie.
L’antan se rappelle alors à cet instant, et c’est une magie bien douce que de repartir à cette époque sans plastique et sans chichis car on avait besoin de peu pour faire les choses. Quand la salade à essorer avait de larges feuilles, on utilisait le panier à salade car on risquait moins de faire voler de part et d’autre quelques feuilles plus petites. Sinon, et bien on prenait un torchon, on en rabattait les bords au milieu, et on secouait ; parfois, on utilisait un deuxième torchon si le premier était trop mouillé. Puis, on les étendait sur le rebord de la cuisinière pour qu’ils sèchent.
On apprenait ce geste de l’essorage au torchon dès l’enfance : on le voyait faire d’abord par une mère ou une grand-mère ou encore une voisine ou une tante, une grande cousine, tout autant costaudes les unes que les autres ; puis on s’y essayait ensuite quand on était suffisamment grande. Et là encore, comme quand on pliait les draps, on se demandait comment il pouvait se faire que ces femmes aient autant de force.
Bonheur du jour - Page 936
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L’antan : essorer la salade avec un chiffon.
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Soleil couchant sur la baie de Bandol.
La semaine se termine mais il reste une dernière activité à faire avant d’être en repos pour deux jours. On aimerait bien rentrer très vite ; il faut pourtant faire ce détour. Et voilà qu’au moment où on arrive, le soleil se couche. C’est une magnifique boule tout autant rouge qu’orange, qui jette ses feux sur les nuages alentour et la mer qui semble se prosterner devant tant de beauté. Il faut s’arrêter car passer son chemin serait donner raison à l’activisme. On appelle ceux qui sont là aussi : « Venez voir comme c’est beau ! ». Et, dans la fraîcheur du soir, transis, les bras croisés pour donner un peu de chaleur aux corps, on reste là jusqu’à ce que le soleil plonge derrière Bandol.