Le moment est revenu d’aller rendre visite à la gentille doctoresse blonde.
Sur son bureau, l’ordinateur est posé sur le côté, donc on peut la regarder quand on lui parle, et vice versa. Elle écoute avant de poser des questions, pose des questions, mais une à une, en prenant le temps d’écouter les réponses, lis les analyses en suivant les lignes avec son stylo et en hochant la tête, regarde, palpe, écoute encore et toujours et finit par dire ce qu’on attendait et espérait : « Parfait, c’est parfait ».
On l’embrasserait bien.
Quand on se dit au revoir, on reprend date parce qu’on sait bien qu’on en a pris pour des années.
On ressort en marchant d’un bon pas puisqu’on lui a laissé en consigne une lourde enclume. Elle en a d'ailleurs plein son bureau.
Bonheur du jour - Page 934
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La gentille doctoresse.
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Passer la soirée avec Jean-Paul, Napoléon, et un vieux colonel.
Passer la soirée avec Outre-Terre, de Jean-Paul Kauffmann.
C’est la première soirée. Après avoir entendu Jean-Paul Kauffmann il y a quelques jours sur France Musiques, on a décidé de lire son livre. On n’a jamais rien lu de lui, mais on le connait, bien sûr.
C’est la première soirée, donc – mais on sait qu’il y en aura d’autres car ce livre, on l’a compris dès les premières lignes, fait partie de ceux qu’on va déguster, lentement, très lentement : parce qu’on va aller fureter dans les anciens livres d’histoire pour se remémorer l’épisode napoléonien, parce qu’on va regarder les cartes de l’Atlas historique, parce qu’on va aller fureter dans le rayon Balzac pour relire des passages du Colonel Chabert, et parce qu’on va passer de longs moments sans le lire, ce livre, qui sera simplement posé, grand ouvert les genoux. On restera là, dans la chambre calme du milieu de la nuit, entourée des chats qui dorment bien lovés dans des creux de couvertures ou de jambes croisées, et on réfléchira. C’est ainsi qu’on a fait lorsqu’on a atteint la page 45 et lu une citation du Colonel Chabert, à la fin de son histoire douloureuse : « Je vous méprise, je retourne là d’où je viens, c’est-à-dire chez les morts et, désormais, je suis hors d’atteinte ».
Et alors on repense à tous les moments où, parce qu’il a fallu vivre mille morts, celles de morceaux de corps, celles d’êtres chers, celles de séparations, celles de soi-même sans doute, on a replongé goulument dans la vie parce que, justement, on ne voulait pas être chez les morts.