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louis aragon

  • Un poème pour la journée. Les yeux d’Elsa.


    La première fois qu’on l’a lu, ce poème, on en a eu les larmes aux yeux tellement c’était beau de lire tout cet amour. « Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire / J’ai vu tous les soleils y venir se mirer… » On en est resté tellement impressionné que ces deux vers-là, on les a relus, relus, relus. Il y a plein de beaux vers ensuite, mais celui-ci aussi est beau : « L’iris troué de noir plus bleu d’être endeuillé » - on n’a plus jamais regardé les iris comme avant cette lecture, ni le bleu près du noir ou le noir près du bleu. Et ce vers : « Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes. » Il fallut aller chercher la définition de Golconde comme on l’avait fait de la pechblende. Etre le Pérou, la Golconde, les Indes de quelqu’un… Avoir des yeux d’un bleu brûlant, comme le radium. D’ailleurs, le livre qu’on a et dans lequel est ce poème est bleu, lui aussi. Quand on le prend, il s’ouvre à la page du poème.

    Les Yeux d'Elsa

    Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
    J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
    S'y jeter à mourir tous les désespérés
    Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

    À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
    Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
    L'été taille la nue au tablier des anges
    Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

    Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
    Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
    Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
    Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

    Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
    Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
    Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
    L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

    Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
    Par où se reproduit le miracle des Rois
    Lorsque le cœur battant ils virent tous les trois
    Le manteau de Marie accroché dans la crèche

    Une bouche suffit au mois de Mai des mots
    Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
    Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
    Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

    L'enfant accaparé par les belles images
    Écarquille les siens moins démesurément
    Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
    On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

    Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
    Des insectes défont leurs amours violentes
    Je suis pris au filet des étoiles filantes
    Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

    J'ai retiré ce radium de la pechblende
    Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
    Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
    Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

    Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
    Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
    Moi je voyais briller au-dessus de la mer
    Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

  • Humanités.

    Ce poème d’Aragon, Un jour, un jour, déjà publié ici par deux fois. Jean Ferrat l’a merveilleusement chanté.

    Tout ce que l'homme fut de grand et de sublime
    Sa protestation ses chants et ses héros
    Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux
    A Grenade aujourd'hui surgit devant le crime

    Et cette bouche absente et Lorca qui s'est tu
    Emplissant tout à coup l'univers de silence
    Contre les violents tourne la violence
    Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue

    Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange
    Un jour de palme un jour de feuillages au front
    Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
    Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

    Ah je désespérais de mes frères sauvages
    Je voyais je voyais l'avenir à genoux
    La Bête triomphante et la pierre sur nous
    Et le feu des soldats porté sur nos rivages

    Quoi toujours ce serait par atroce marché
    Un partage incessant que se font de la terre
    Entre eux ces assassins que craignent les panthères
    Et dont tremble un poignard quand leur main l'a touché

    Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange
    Un jour de palme un jour de feuillages au front
    Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
    Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

    Quoi toujours ce serait la guerre la querelle
    Des manières de rois et des fronts prosternés
    Et l'enfant de la femme inutilement né
    Les blés déchiquetés toujours des sauterelles

    Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
    Le massacre toujours justifié d'idoles
    Aux cadavres jeté ce manteau de paroles
    Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou

    Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange
    Un jour de palme un jour de feuillages au front
    Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
    Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche