Le bonheur de relire.
Après La chambre de Jacob, Mrs Dalloway, le premier volume de l’œuvre romanesque de Virginia Woolf, éditée chez Stock, contient La promenade au phare. On poursuivra ainsi la relecture de Virginia en suivant l’ordre des trois volumes.
Déjà, on les regarde. C’est un premier bonheur, ces tranches rose clair, orange et rose Stock dont le papier est déchiré par la vie des livres : être lu, être posé sur la table de nuit, repris, ouvert, fermé, mis dans un sac à main, sorti, rouvert dans le métro bondé, tenu maladroitement des deux mains, refermé, remis dans le sac, repris, etc., et parfois rangé dans des cartons de déménagement, réinstallé sur de nouvelles étagères, poussé, repoussé, et, aujourd’hui, posé là sur la commode, avec tous les autres livres de Virginia Woolf qu’on a accumulés (on les avait d’abord rangés dans le bureau mansardé mais ils étaient trop loin et on ne les voyait pas le soir alors on les a repris à bout de bras, transportés en passant par les deux escaliers et posés en évidence, sous les yeux) attrapé, ouvert, et avant être relu, feuilleté.
Le livre lui-même raconte des histoires : la sienne ; comment est-il arrivé dans notre vie : le rayon d’une librairie ou le paquet cadeau d’un anniversaire ou d’un Noël ou l’étal du marchand de livres d’occasion sur le marché dominical. Il raconte aussi la nôtre ; où habitait-on à ce moment-là de son arrivée dans notre vie ; quel âge avait-on ; que faisait-on ce jour-là de notre rencontre, allions-nous à la librairie toute proche du bureau, durant l’heure de midi, ou à celle de St Germain en Laye où nous aimions flâner le samedi après-midi après avoir marché sur la Terrasse et avant d’aller prendre un thé. Des signes errants dans le livre reprécisent ces instants : des cartes de visite qui ont servi à marquer des pages ; une carte de fidélité, verte, d’un horticulteur à la Maladrerie ; un ticket de caisse presque effacé.
On sourit à ces souvenirs et, dans la tête, ils affluent : « Ah oui, je me souviens….. » « Ah oui, j’allais là faire les courses…. » « Ah oui, j’avais pris le thé avec M., ce jour-là, où j’avais aussi acheté Une année à la campagne, de Sue Hubbel »…
Puis, on s’installe et on commence la relecture des mots.
« Oui, bien sûr, s’il fait beau demain, dit Mrs Ramsey. Mais il faudra vous lever à l’aurore ».
Cette première phrase de La promenade au phare, on l’a lue il y a trente-cinq ans. Jamais oubliée. Mrs Ramsey. Elle tricote, raconte des histoires à son fils, se préoccupe des uns et des autres, aime son mari à qui elle est toute dévouée, et puis elle meurt. James. Lily Briscoe. Mr Ramsey.
Un père. Une mère. Des enfants. Des vacances. Des souvenirs. Des gens qui meurent et dont on se souvient, et qui manquent, et qu’on cherche. On finit toutefois, parce qu’on grandit, parce qu’on vieillit, par comprendre que notre survie a un sens, tout simplement le sens de la vie.
L’année où on avait lu La promenade au phare, on avait perdu quelqu’un. L’année où on relit ce roman, on a perdu quelqu’un aussi. Les livres viennent à nous quand on en a besoin. Comme ils sont merveilleux.
LIRE / Un été avec Virginia Woolf - Page 2
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Un été avec Virginia Woolf : La promenade au phare. 1/3.
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Un été avec Virginia Woolf : Mrs Dalloway. 4/4.
Résumons la vie de Clarissa telle que Virginia donne à la voir. Elle est issue d’une famille de la bonne bourgeoisie, aisée sans être très riche ; mais on a un domaine, des chevaux, on reçoit l’été dans la demeure familiale. Bref, on a un rang. On a des principes. Clarissa, jeune fille, ressent des émois face à des personnes qui viennent dîner ou passer quelques jours dans la propriété familiale, l’été. Elle est très attirée par Sally Seton, une jeune fille comme elle, mais plus libre, on dirait plutôt extravagante pour la société de son époque, alors que Clarissa, elle, est très bien définie : on sait qui elle est, on sait qui elle sera. Il n’y aura jamais rien d’étonnant chez Clarissa. Elle tombe amoureuse de Peter Walsh mais, lucide, elle lui préfère Richard Dalloway et la vie toute tracée qui permet d’être tranquille : le mariage, les enfants, la maison, les soirées, …. Réussir sa vie correspond pour Clarissa à certains critères qu’elle ne perdra jamais de vue. Elle sait aussi que la jeunesse est le seul moment où on peut croire aux sentiments, et en particulier à l’amour mais qu’après, on se range : on fait comme tout le monde, on choisit, en général, le moins risqué.
Quand on fait sa connaissance au début du roman, elle a désormais plus de cinquante ans et c’est comme si elle ne se sentait pas le droit d’être heureuse dans sa vie si ordinaire car ceux qui ont compté pour elle et ceux à qui elle accorde à tort de l’importance lui font sentir que sa vie est limitée. Elle est parfois jugée comme étant une snob ; et on dit d’elle qu’elle est gentille, oui, vraiment gentille, mais avec ce petit sourire empreint de mépris que nous connaissons tous, plus ou moins. Elle attend de certains ce qu’ils ne peuvent pas lui donner : l’accepter telle qu’elle est.
Dans le monde de Mrs Dalloway, donner une réception, c’est important. Elle veut que cela soit réussi, car cela sera le signe qu’elle est quelqu’un de bien puisqu’elle aura fait quelque chose de bien ; et c’est important pour son mari, Richard, qui a des perspectives. Mais elle reste la jeune fille qu’elle a été, si romantique : elle va elle-même choisir les fleurs.
Tout à coup, Peter Walsh refait surface à 11 heures du matin, il rend visite à son ancien amour. Mais il la trouve tellement conventionnelle, à la limite irréprochable (la voilà qui reprise sa robe elle-même parce que ses servantes sont débordées à préparer la soirée). Il est touché par sa présence (« elle était là ») mais il ne parvient pas à se départir de son jugement : elle ne fait pas grand-chose, selon lui. (Et lui, que fait-il, au fait ?) Il est d’ailleurs assez insensible au petit mot qu’elle lui envoie peu de temps après son départ. Elle l’a pourtant écrit spontanément, laissant libre cours à ses émotions.
Clarissa Dalloway est magnifiquement banale. Elle a un mari, une fille, une belle maison, des connaissances, elle reçoit aimablement, jusqu’au Premier ministre. Elle voudrait que tout soit simple, que les gens soient heureux ; qu’ils lui disent que les fleurs sont belles, qu’ils sont contents d’être là ; mais ils ne disent pas cela, soit parce qu’ils sont blasés, soit parce qu’ils s’en moquent, soit parce qu’ils la croient fade, cette Mrs Dalloway, trop gentille, trop lisse. Qui se pose la question de savoir ce qu’elle ressent ?
Elle accorde de l’importance à sa réception tout en étant lucide sur le fait qu’il y a sans doute des choses plus importantes à vivre. Mais c’est quoi, ce qui est important ? Car finalement, Peter Walsh, toujours amoureux, mais si critique, attend quand même jusqu’à trois heures du matin pour pouvoir la voir un peu et lui parler peut-être.