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gourmandise de mots - Page 3

  • Un poème pour la journée. Apparition.


    Pourquoi Apparition, de Mallarmé ? Parce que ce poème fut un éblouissement, un jour, en cours de Français et qu’il fit naître cette envie irrépressible d’atteindre cela qui se nomme la poésie. C’est pour toujours, ces « blancs bouquets d’étoiles parfumées » qui neigent… Avoir imaginé cela, des bouquets qui neigent… Et les « blancs sanglots » … Avoir imaginé cela aussi, que les sanglots puissent avoir des couleurs ! Alors cela veut dire que si on peut donner des couleurs aux sanglots, on peut en donner à …. tout. Les répétitions de sons (assonances ou allitérations) qui font ce rythme, non, plutôt la respiration, le souffle de la vie : « la cueillaison d’un rêve au cœur qui l’a cueilli. » Et pour toujours aussi, cette « fée au chapeau de clarté » à laquelle on a souvent songé, enfant, au moment de s’endormir et à laquelle on pense encore. Cette fée existe puisque le poète lui-même la connait. Un jour, demain, après-demain, dans un an, dans dix ans, ou même encore dans l’au-delà de l’Eternité, elle fera neiger à travers ses mains mal fermées de blancs bouquets d’étoiles parfumées. On le sait bien que toutes les fées font cela.

    Apparition

    La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
    Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
    Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
    De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
    C’était le jour béni de ton premier baiser.
    Ma songerie aimant à me martyriser
    S’enivrait savamment du parfum de tristesse
    Que même sans regret et sans déboire laisse
    La cueillaison d’un rêve au cœur qui l’a cueilli.
    J’errais donc, l’œil rivé sur le pavé vieilli
    Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
    Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
    Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
    Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
    Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
    Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.


    Stéphane Mallarmé, Vers et prose, 1893.


  • Quelques vers pour la journée.


    En marchant le long de la mer, quelques vers de Pedro Salinas sont revenus. Les voici :

    Avec joie

    Combien, combien en a la mer,
    combien de joies !

    Etres de lumières, sur l’eau,
    dansant sur la pointe des pieds.

    Comme les flots finissent bien :
    ils meurent en ballerines !

    Dans les machines bleues
    des fêtes se profilent.

    Ni vagues, ni reflets ne sont
    tout ce qui brille.

    Ni écume celles qui jouent,
    déjà évanouies.

    C’est la comédie que la jouissance
    monte chaque jour.

    La constance dans le bonheur.
    Oui, celles qui s’obstinent

    Comme bonheurs, à être.
    Ténacité, dans la félicité.

    Les joies, la mer
    elle ne les perd jamais.

    Alors pourquoi ai-je
    la main sur ma joue ?

    Tiennes, ou miennes, peu importe,
    puisqu’on les voit,

    Dans l’air, dans le soleil, laissant resplendir
    leur corps d’ondines ?

    Si toutes les jubilations sont siennes,
    elle me les offre toutes,

    Comme la vie, chaque jour,
    elle m’offre ma vie,

    En acceptant la lumière
    qu’une autre aurore m’envoie ?

    Les joies qui me manquent,
    elle me les fabrique.

    Depuis ses lointaines profondeurs
    elles cheminent vers moi.

    Et là dans les yeux, les siennes
    se font miennes.



    Pedro Salinas, Avec joie, in La mer lumière, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2011, p. 41,