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proust - Page 2

  • C’est dimanche : aller au concert.


    S’asseoir et attendre fébrilement le début du concert.
    Les musiciens accordent leurs instruments et on repère quelques notes de ce qu’on va entendre. Surprise : c’est la sonate de Franck. La sonate !
    Quand les deux jeunes musiciennes s’installent et commencent à jouer, on a le souffle coupé, comme à chaque fois qu’on l’entend – comme peut-être Swann, ce premier soir-là.
    Et même si la respiration reprend peu à peu, elle reste haletante, car on a soif d’avancer dans ces notes si familières.
    Les souvenirs reviennent – ceux du temps jadis quand on écoutait cette sonate sur un disque vynile, ou quand on allait au concert le dimanche après-midi, déjà, à Paris, en automne, ou tard, en hiver, comme quand on avait croisé Régine Crespin vêtue d’une grande cape noire qui nous avait dit : « Mais, Mademoiselle, la musique, c’est fait pour rêver » ; quand parmi ceux qui ont disparu, emportant avec eux le plein de la vie, certains étaient encore là et riaient mais on ne savait pas l’urgence ; quand on lisait abasourdie Du côté de chez Swann pour la première fois - ceux du temps qui a suivi, quand c’était déjà le temps de la relecture et de la rencontre avec Debussy, et le temps des abonnements pour de multiples concerts ; quand on déménageait une fois, deux fois, trois fois, plus de caisses de livres que de meubles ou de chaises ; quand des petits piaillaient et qu’on les amenait visiter des musées - ceux des périodes suivantes, et puis encore après, quand on avait peur que le temps soit perdu car on perdait des gens.
    Revient en mémoire, les dernières notes jouées, cette phrase de Seiji Ozawa : « Face à la souffrance, la musique est impuissante et nécessaire ».
    Applaudir à tout rompre ces musiciennes et leur crier « Merci ! » pour avoir créé ce qui sera demain un souvenir bien rond, bien plein.