Descendre au marché.
A mi-chemin, rencontrer une voisine qui en revient.
- Ah ! Bonjour, justement, je voulais vous parler d’un chat qui vient chez moi de temps en temps.
- Ah oui ? Comment est-il ?
- Tigré, de grandes oreilles, il est tatoué, mais il semblé âgé, et perdu.
- Ah, c’est peut-être Enzo. Le chat de Monsieur Truc, vous savez, celui qui a aussi Minette, la jolie blanche légèrement tigrée.
- Ah oui, celle qui vient chez vous ?
- Elle ne vient jamais chez vous ? Parce qu’elle va partout, elle.
- Non. Alors c’est Enzo, vous croyez ? Regardez, je l’ai pris en photo.
- Ah oui, c’est bien lui.
- Ah, d’accord. Il n’est pas perdu, alors. Remarquez, je continuerai à lui donner à manger, si besoin. D’ailleurs, mes chats, ils vont toujours manger chez vous ? C’est gentil de votre part, mais vous savez, ils ont tout ce qu’il faut. D’ailleurs, votre Hercule, il vient aussi, mais le soir, seulement. Qu'est-ce qu'il est gentil ! Il se laisse caresser facilement, il n'est vraiment pas sauvage.
- Mais c’est parce que c’est le copain de votre Savannah. Ah, celle-là, elle en fait des ravages. Mais elle est bien, hein, maintenant, quand on pense à toutes ses misères, la pauvre…
- Et oui, on a bien fait de la recueillir.
- Hercule, le matin, il reste à la maison. Je l’enferme. Je n’aime pas qu’il sorte toute la journée. C’est vrai, quand même, à son âge, il n’est plus tout jeune… Ma Mimi, elle, elle ne sort plus, elle a bien compris, vous pensez, à 17 ans. Et au fait, vous voyez toujours le noir, vous savez, le gros, qui boitait….
- Oh, celui-là, ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Je croyais qu’il allait plutôt chez vous.
- Je ne le vois vraiment plus… Qui sait ce qui a pu lui arriver, le pauvre… Par contre, le chat des nouveaux voisins, vous savez, ceux qui se sont installés dans la maison rouge…
- Oui, et bien…
- Ils laissent leur chat dehors, jour et nuit ! Et on ne sait même pas son nom !
- C’est pas possible ! Mais comment est-il ? Il viendra peut-être chez moi ?
Etc.
voisine
-
Minette, Savannah, Hercule, Enzo, et les autres.
-
24 septembre 2013. Le manteau noir.
Parce qu’il est temps de passer des vêtements d’été à ceux de l’hiver et qu’on a peu de place, il s’agit aujourd’hui de ranger l’armoire. Il s’agit aussi de bien regarder ce qu’on a pour faire le point sur des achats éventuels. L’imperméable, c’est bon. La doudoune, c’est bon aussi. Elle fera encore cette année. Ah, le manteau noir…
Celui-là on le sort et on l’étend sur le canapé. Il est bien usé, il faut le reconnaître. Dans le dos, le tissu semble aminci et le noir virer à une couleur qui n’est plus noire vraiment et qu’on ne saurait qualifier. Aux poignets, il s’effiloche. Vraiment, il faudrait le remplacer. Oui mais comment ?
Ce manteau, on l’a depuis dix ans. Quand un homme qu’on aimait plus que tout est mort et qu’il a fallu l’amener au cimetière, on n’avait pas de manteau noir, ni d’argent pour en acheter un, et une amie délicate avait apporté ici ce même manteau, le posant de la même façon sur le dos du canapé pour qu’on le voit bien, et qu’on se laisse convaincre de le prendre. Bon, il avait déjà plusieurs années, mais il était impeccable. Et on avait dit oui, et on avait dit merci à cette amie qui disait qu’on le lui avait donné, ce manteau, et qu’elle ne le mettait pas parce qu’elle n’en avait pas besoin…
Et on l’avait mis tant de fois. Le jour de l’enterrement, bien sûr, il faisait si froid, et ensuite à chaque visite au cimetière, comme un uniforme obligatoire, et encore et encore tant que le cœur saignait à flots, un peu moins ensuite quand le flot s’est tari à force de couler, mais souvent quand même ces dix dernières années, parce qu’un manteau noir, ça se met facilement et on est toujours un peu chic avec, quand on a une démarche à faire et qu’on ne veut pas faire trop pitié, quand on a un rendez-vous et qu’on veut faire honneur à ses amis.
Mais maintenant, non, il est trop usé. Il faudrait le changer. Mais combien ça coûte, un manteau noir ? On pourrait peut-être, le mois prochain… C’est quand les soldes ? Bon, on va voir, on pourra aller faire un tour dans des magasins, comme ça, pour voir juste, comparer, …. Oui, mais si on le range dans l’armoire, il faudra le mettre car tout ce qui est dans l’armoire doit servir : ici, on n’a pas les moyens ni la place pour le superflu.
A ce moment-là, on sonne et il faut ouvrir la porte. Une voisine rentre des courses et voulait nous proposer quelque chose. On lui a donné plein de vêtements pour qu’elle les amène à Emmaüs et dans le lot, il y a un beau manteau noir qui vous irait très bien. Je reviens, dit-elle. Ce qu’elle fait quelques instants plus tard, les bras chargés d’un magnifique manteau noir tout neuf. Elle le pose sur le canapé, à l’endroit même d’où on vient d’enlever celui qui a servi tant d’années. Il est beau. Il est neuf. On l’essaie. Il est parfait. On dit merci beaucoup, vraiment, merci beaucoup.
Après le départ de la voisine, on le range dans l’armoire et on plie l’autre très méticuleusement en se demandant comment faire pour celui-ci : le jeter ? le donner ?