Comme il est bon, en voyage, de ne rien faire ! Voyager, ce n’est pas seulement visiter, visiter, visiter… Partir tôt le matin, rentrer tard le soir, avoir vu tout ce qu’il fallait voir, être allé là où il fallait aller… On l’a appris, cela, il y a longtemps quand, lors d’un premier voyage à Rome, on avait lu les Promenades dans Rome, de Stendhal. On se permet ici de l’imiter, car on sait qu’il ne nous en voudra pas : « Nous avons goûté le bonheur d’être sur les bords du lac de Côme en toute liberté, et sans songer au devoir de voir ».
Ainsi, on a ouvert les volets et on a regardé le lac. On a rendu visite aux familles canards juste en bas. On a discuté météo avec Marco mais on n’a pas pris de bateau. On est allé chercher quelques enveloppes à en-tête de l’hôtel. On a fait le tour de Torno. (C’était rapide.) On a salué la religieuse qui ouvre et ferme l’église. On a pris un café au Bar Italia. On a discuté avec la patronne en mélangeant le français, l’anglais et l’italien. On a parcouru les journaux. On a bu de l’aqua frizzante. On a mangé une pizza. On a bu encore un café. On a regardé le lac. On a fait la sieste. On a lu. On a regardé les bateaux passer. On a écrit. On est resté sur un banc, à l’ombre, mais toujours face au lac. Quand la soirée fut bien avancée et que les habitants du lieu semblaient avoir tous quitté leur maison pour se retrouver sur la place, et bien, on y est allé aussi.
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Nouvelles provisions : Pescallo.
Le lac de Côme, c’est comme une mer. C’est grand. On en voit l’horizon vraiment très loin. Ses côtes sont bordées de ports innombrables. Des bateaux de toutes tailles vont et viennent sans fin ; de petits voiliers à la voile aigüe, des hors-bords pressés aux cuivres aguicheurs, des ferry-boats remplis de voyageurs qui ne cessent de prendre des photos, des « rapidos » qui tracent leur chemin en ligne droite. Tous ces bateaux font des vagues et du ressac et quand le vent se lève, on pourrait même parler de houle. Il y a aussi des barques, en bois ; mais souvent, elles sont à sec au bord des pannes. Et qui dit bateaux, dits matelots. Comme Marco. Sur le port de Torno, il vend les tickets, règle la descente et la montée des voyageurs, amarre les ferrys, les laisse repartir et, entre temps, écoute la radio ou va discuter sur la place, juste devant le Bar Italia. Rapidement, on a sympathisé car on a passé du temps avec lui pour organiser des tours du lac. Il nous a bien mentionné, sur le petit dépliant, les horaires et les étapes, en utilisant des fluos de couleurs différentes. Cela lui a plu quand on lui a dit qu’on ne voulait pas prendre de « rapido » car ce qu’on voulait, c’était prendre toute notre temps. Et quand, le matin, on ouvre les volets et qu’il nous aperçoit, il nous fait un petit signe en guise de bonjour. Il faudra attendre après le petit déjeuner, quand on sortira faire quelque pas, poster du courrier ou simplement comme ça, pour qu’on se dise bonjour plus amplement et qu’il nous rappelle à quelle heure est le bateau qu’on veut prendre aujourd’hui. On fait des efforts pour parler en italien, et lui, en souriant, répond en français.
- A che ora è el ferry per Bellagio, prego ?
Mais le lac de Côme, ce n’est quand même pas la mer, car on y voit des cygnes. Comme ce matin-là, à Pescallo. Il était encore très tôt et il faisait si chaud qu’on aurait bien aimé se baigner un peu. Alors, on descendit loin de la foule. Là, ce qui fut un port de pêche était tout immobile et désert. L’anse bien protégée par quelques maisons silencieuses. Les bateaux se reposaient aussi. En face, les montagnes si boisées qu’elles en étaient frisées tremblotaient sous le soleil et le ciel bleu tirait les cœurs vers l’allégresse. On osa briser l’onde lisse par quelques pas furtifs car on ne voulait pas déranger. Attirés par ce mouvement, un cygne alors surgit du plein soleil. Il s’arrêta. Un deuxième le suivit et s’arrêta également. Il ne fallait plus ni bouger, ni même respirer. Ils étaient là, si près ! Quand ils eurent fini leur inspection et jugèrent qu’on avait simplement posé là, oubliés peut-être par des humains négligents, quelques chapeaux et plusieurs paires de pieds sans aucun danger, trois petits arrivèrent, affairés, bien rangés les uns derrière les autres.
En exergue au Serpent d’étoiles, Giono cite ces mots de Walt Whitman : « Votre œuvre peut-elle faire vis-à-vis à la pleine campagne et au bord de la mer ? »