En entrant dans le grand jardin qui donne sur le Mai, on sent dès le portail en fer forgé qu’il faut pousser pour aller à l’arrière de la maison le parfum âcre des lentisques. Les feuilles sont toutes petites, toutes légères, innombrables, d’un vert nostalgique du printemps surtout qu’à ce moment le soleil les inonde de sa belle lumière de fin septembre tout autant que les grappes de petites baies rouges. Elles, on dirait bien, à avoir surgi ainsi un peu partout dans un grand désordre écarlate de ce bois miraculeux, qu’elles aimeraient être tout aussi nombreuses que les jolies feuilles qui vont toujours par deux se tenant la main par-delà le pétiole. Et cette senteur ! Cette senteur ! Ah ! L’incomparable senteur du pistacia lentiscus ! On est venu couper une belle branche. Il faut forcer car le bois des rameaux s’est épaissi. Mais on veut en apporter à celui qui les a plantés là. Il ne peut plus être dehors dans son grand jardin. Il dira, c’est certain, en attrapant la branche et en en observant et le bois qu’il fera rouler entre le pouce et l’index : « Ah ! ils ont profité, on dirait. La branche est un peu grosse maintenant. » Puis : « Ça y est, il y a des fruits. Eh oui, c’est septembre. » Puis : « Et ça sent toujours aussi fort, ce lentisque ! Ça me rappelle l’essence de térébenthine. » Et il la posera d’un geste vif sur la tablette. Le temps de l’après-midi, il remarquera plusieurs fois que ça sent fort, quand même. Et quand, au moment de partir, on lui proposera de la reprendre, cette branche, pour ne pas qu’il en soit incommodé, il dira : « Penses-tu ! Je la garde, pardi. » Et d’un geste de la main, il la repositionnera sur la tablette, bien au milieu.
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A l’arrêt de bus et en étendant du linge.
A l’arrêt de bus, regarder les fleurs, les arbres, les jardins, les bateaux, les collines, le ciel, les nuages. Les gens aussi. Ceux qui attendent le bus les mains dans les poches et le regard perdu ou en regardant leur téléphone ou en parlant au téléphone. Ceux qui passent sur le trottoir en marchant vite tête baissée ou le téléphone collé à l’oreille, les dames qui poussent leur enfant dans une poussette et qui regardent droit devant elle vers l’école où elles se dirigent ou qui regardent leur enfant en souriant, des couples, certains rentrant des courses avec des paniers pleins, l’un près de l’autre, l’un derrière l’autre, d’autres couples sans paniers mais mains dans la main, d’autres gens qui se sont arrêtés pour se parler, des voisins peut-être.
En étendant le linge sur la terrasse, remarquer qu’il y a désormais quatre tourterelles sur le fil électrique qui passe au-dessus de la cour. D’où viennent les deux nouvelles ? Elles s’installent à un bout du fil, et les deux anciennes à l’autre bout, leur place habituelle. Elles finiront certainement par faire connaissance et papoter entre elles.