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LIRE / Un poème pour la journée - Page 5

  • Un poème pour la journée. Les yeux d’Elsa.


    La première fois qu’on l’a lu, ce poème, on en a eu les larmes aux yeux tellement c’était beau de lire tout cet amour. « Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire / J’ai vu tous les soleils y venir se mirer… » On en est resté tellement impressionné que ces deux vers-là, on les a relus, relus, relus. Il y a plein de beaux vers ensuite, mais celui-ci aussi est beau : « L’iris troué de noir plus bleu d’être endeuillé » - on n’a plus jamais regardé les iris comme avant cette lecture, ni le bleu près du noir ou le noir près du bleu. Et ce vers : « Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes. » Il fallut aller chercher la définition de Golconde comme on l’avait fait de la pechblende. Etre le Pérou, la Golconde, les Indes de quelqu’un… Avoir des yeux d’un bleu brûlant, comme le radium. D’ailleurs, le livre qu’on a et dans lequel est ce poème est bleu, lui aussi. Quand on le prend, il s’ouvre à la page du poème.

    Les Yeux d'Elsa

    Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
    J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
    S'y jeter à mourir tous les désespérés
    Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

    À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
    Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
    L'été taille la nue au tablier des anges
    Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

    Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
    Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
    Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
    Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

    Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
    Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
    Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
    L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

    Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
    Par où se reproduit le miracle des Rois
    Lorsque le cœur battant ils virent tous les trois
    Le manteau de Marie accroché dans la crèche

    Une bouche suffit au mois de Mai des mots
    Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
    Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
    Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

    L'enfant accaparé par les belles images
    Écarquille les siens moins démesurément
    Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
    On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

    Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
    Des insectes défont leurs amours violentes
    Je suis pris au filet des étoiles filantes
    Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

    J'ai retiré ce radium de la pechblende
    Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
    Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
    Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

    Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
    Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
    Moi je voyais briller au-dessus de la mer
    Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

  • Un poème pour la journée. Au revers, d'Andrée Chedid

    De tout temps à jamais, on a lu de la poésie. Cette habitude a peut-être pris naissance à l’école primaire : le souvenir d’une institutrice qui lisait chaque matin un poème à la classe et qui le faisait écrire sur le cahier du jour est encore vivace.
    Aujourd'hui, envie de partager un poème d’Andrée Chedid, Au revers, parce qu’on y lit la vie. Dans l’exemplaire qu’on possède, cela fait longtemps qu’on a souligné ces quelques vers : « au tréfonds de l’obscur/s'échaffaudait/l'opiniâtre printemps. » Soyons opiniâtres.

    Au revers

    Tandis que les graines s’enfièvrent
    Aux creux des sols
    Tandis que les sèves s’émeuvent
    Au cœur des arbres

    L’orage racla nos murs

    Fureurs sévices se déchaînèrent
    On parla haines
    On outragea
    On versa sang

    Mais une fois de plus
    Au revers de l’atroce
    Au tréfonds de l’obscur
    S’échafaudait
    L’opiniâtre printemps.


    Andrée Chédid. Rythmes, Poésie/Gallimard, 2018, p. 90.