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LIRE / Un poème pour la journée - Page 2

  • Un poème pour la journée. Guillevic.


    On a toujours pensé : la poésie est un souffle, un souffle de vie. Sur un plan personnel, il fut un temps où le souffle était si court qu’il s’absentait parfois et qu’on le perdait et il y eut même des instants pendant lesquels on crut que jamais on ne le retrouverait et puis il revenait, ouf. Pendant les temps de repos de l’après-manque-de-souffle, il fallait rester tranquille et on lisait et on lisait de la poésie et une fois on avait lu des tas de poèmes de Guillevic. Voilà pourquoi on aime ce poème qui se termine sur ce mot, souffle. Un poète fait respirer.

    Etre
    Où et quoi ?

    N’importe où,
    Mais pas rien qu’en soi.

    Etre dans le monde.
    Fragment, élément du monde.

    Supérieur à rien,
    Pas à quiconque, pas à la pluie qui tombe,

    Se sentir égal
    Et pareil au pissenlit, à la limace,

    Inférieur à rien,
    Ni au baobab, ni à l’horizon,

    Vivre avec tout
    Ce qui est en dehors et en dedans,

    Tout ce qui est au monde,
    Dans le monde.

    Fétu de paille, non !
    Cathédrale, non !

    Un souffle
    Qui essaie de durer.


    (1) Guillevic, Si je n’écris pas aujourd’hui, Poésie/Gallimard, 2015, p. 45.

  • Un poème pour la journée. Mignonne, allons voir si la rose.


    Quand on passe devant chez cette amie très âgée, on s’arrête toujours pour la saluer. L’hiver, elle sert volontiers un petit café, l’été un verre d’eau pour qu’on se rafraîchisse. Elle est quasiment tout le temps dans sa cuisine maintenant, assise sur une chaise paillée, accoudée à la table recouverte d’une toile cirée aux motifs provençaux. A notre dernière visite, tout près d’elle, un bouquet de roses de son jardin devant lequel on s’extasie. Dans le petit vase en faïence aux flancs bien rebondis, trois roses. Une grosse rose rouge foncé aux larges pétales veloutés dont certains se replient tellement sur eux-mêmes qu’ils en sont presque pointus ; une autre tout aussi large d’un orange rosé, ou d’un rose orangé, cela dépend d’où le regard se pose – sur le bord du pétale, c’est orange, sur sa naissance dans le cœur piqueté d’étamines jaunes, c’est rose ; une troisième encore en bouton, rose tendre. Alors, de quoi parle-t-on ? Des roses. De celles-ci dans le vase tout d’abord.
    L’amie parle : Elles ont un nom, mais je ne m’en souviens plus. C’est mon mari qui avait planté les rosiers. Il prenait ses roses chez Meilland. La rouge, je me demande si ce n’est pas une Madame Meilland. Elles sont tellement parfumées.
    De celles du jardin, ensuite.
    L’amie parle : Il y en a d’autres dans le jardin. Vous en voulez une ?
    Et on descend, difficilement, les quelques marches. On longe l’allée bordée de rosiers pleins de promesses de roses et d’autres épanouies. Presque devant chaque arbuste, elle cherche le nom. Elle parle des roses. Elle dit aimer tellement les roses, dont celui-ci ; et elle montre celui aux roses rouge foncé, pourpres.
    L’amie parle : C’est comment, déjà, ce poème qui parle des roses ? Vous savez, ce poème, là…
    Mignonne, allons voir si la rose ?
    L’amie parle : Oui ! C’est ça !
    Et on lui récite avec maladresse parce qu’on s’en souvient moins bien qu’on ne l’aurait cru ce poème de Ronsard, que voici pour aujourd’hui, et qu’on lui apportera pour qu’elle le lise si elle y pense.

    Mignonne, allons voir si la rose
    Qui ce matin avait déclose
    Sa robe de pourpre au soleil,
    A point perdu cette vesprée
    Les plis de sa robe pourprée,
    Et son teinte au vôtre pareil.

    Las ! voyez comme en peu d’espace,
    Mignonne, elle a dessus la place
    Las ! las ! ses beautés laissé choir !
    O vraiment marâtre Nature,
    Puisqu’une telle fleur ne dure
    Que du matin jusques au soir !

    Donc, si vous me croyez mignonne,
    Tandis que votre âge fleuronne
    En sa plus verte nouveauté,
    Cueillez cueillez votre jeunesse :
    Comme à cette fleur la vieillesse
    Fera ternir votre beauté.