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LIRE / Un poème pour la journée - Page 3

  • Un poème pour la journée. L’Albatros de Charles Baudelaire.


    Voilà aussi un poème qui compte. C’est à l’école qu’on l’a lu pour la première fois, à une époque chagrine qui a fait résonner ces vers de Baudelaire. Il évoque le poète à travers cet albatros mais quiconque se sent incompris et mal à l’aise dans son monde peut s’identifier à l’oiseau. Grâce à ce poème, si on savait déjà que le monde pouvait être cruel, on a appris que la poésie permet de le dire et de ne pas garder en soi ses douleurs.
    Et aussi, mais ça c’est bien longtemps après qu’on l’a compris, que là où on est, quand on est empêtré par « des avirons » à traîner, qu’il suffit d’arriver à les prendre pour se relever, marcher pour certains, voler pour d’autres, laissant derrière soi ces « hommes d’équipage ».
    Qui n’en a pas connu, de ces « hommes d’équipage », ces groupes de gens qui font bloc, qui prennent tant de plaisir à ricaner et à se moquer de la faiblesse d’autrui… Ils sont si violents, si méchants, ils semblent si forts et si certains de nous couper les ailes ! Mais n’est-ce pas qu’ils sont envieux de cette belle proie à laquelle, en fait, ils aimeraient tant ressembler ? N’est-ce pas eux, en fait, qui ont peur de se mettre à marcher ou à voler ou à être libre ?
    Ah ! Baudelaire ! Comme on ne cessera jamais de te remercier pour cet Albatros sauveur découvert, un après-midi morne, dans un livre qui tout à coup s’ouvrit sur un ciel infini !

    L’Albatros.

    Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
    Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
    Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
    Le navire glissant sur les gouffres amers.

    A peine les ont-ils déposés sur les planches,
    Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
    Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
    Comme des avirons traîner à côté d’eux.

    Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
    Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
    L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
    L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

    Le Poète est semblable au prince des nuées
    Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
    Exilé sur le sol au milieu des huées,
    Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

    Charles Baudelaire.



  • Un poème pour la journée. L'éternité.

    C'est un poème lu pour la première fois il y a longtemps. Bien souvent relu mais les cinq premiers vers ont toujours suffi pour revenir à ce qui est essentiel, la poésie et son messager, le poète. Que fait donc le poète si ce n'est être au-delà des mots, dans un temps suspendu, forcément éternel ? N'est-il pas en communion avec les mots dont il connaît tout, bien loin du langage des pauvres bavards que nous sommes ?
    Quand on a lu pour la première fois "Elle est retrouvée. Quoi ? L'Eternité.", c'est cette belle affirmation du premier vers qu'on a trouvé extraordinaire. Une certitude. Le poète, quand il cherche quelque chose, c'est l'éternité qu'il trouve, c'est le poème qu'il trouve.
    Puis, dans le deuxième vers, la question suivie d'une réponse, c'est si beau aussi : le poète n'est pas seul. Il ne peut pas l'être car c'est ainsi qu'il construit son œuvre. Il est comme la mer avec le soleil, toujours en dialogue avec le monde.
    Depuis, on tente d'être une âme sentinelle mais...

    L'Eternité

    Elle est retrouvée.
    Quoi ? - L'Eternité.
    C'est la mer allée
    avec le soleil.

    Ame sentinelle,
    ....



    Arthur Rimbaud, Derniers vers, 1872.