I.
Ce toit tranquille, où marchent des colombes
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
O récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !
II.
Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d’imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l’abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d’une éternelle cause,
Le Temps scintille et le Songe est savoir.
Ce sont les deux premières strophes du Cimetière marin de Paul Valéry. Il y en a vingt-quatre au total. C’est bien aussi les longs poèmes. En les lisant, on a le temps de s’installer pour en profiter. On y plonge, on s’y enfouit et ensuite, on relève la tête et on regarde le monde qu’on voit alors autrement.
Surtout celui-ci qui est si beau à évoquer tout ensemble à travers le prisme de ce cimetière surplombant la grande bleue et symbolisant l’éternité,
la vie, « la vie est vaste » (strophe XII), « Le don de vivre a passé dans les fleurs » (strophe XV),
le soleil brûlant de l’été, « Midi là-haut, Midi sans mouvement » (strophe XIII),
et toujours toujours pour toujours
le soleil, la mer, le vent, un livre de poésie.
XXIV.
Le vent se lève ! … il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !
LIRE / Un poème pour la journée - Page 4
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Un poème pour la journée. Le cimetière marin.
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Un poème pour la journée. Apparition.
Pourquoi Apparition, de Mallarmé ? Parce que ce poème fut un éblouissement, un jour, en cours de Français et qu’il fit naître cette envie irrépressible d’atteindre cela qui se nomme la poésie. C’est pour toujours, ces « blancs bouquets d’étoiles parfumées » qui neigent… Avoir imaginé cela, des bouquets qui neigent… Et les « blancs sanglots » … Avoir imaginé cela aussi, que les sanglots puissent avoir des couleurs ! Alors cela veut dire que si on peut donner des couleurs aux sanglots, on peut en donner à …. tout. Les répétitions de sons (assonances ou allitérations) qui font ce rythme, non, plutôt la respiration, le souffle de la vie : « la cueillaison d’un rêve au cœur qui l’a cueilli. » Et pour toujours aussi, cette « fée au chapeau de clarté » à laquelle on a souvent songé, enfant, au moment de s’endormir et à laquelle on pense encore. Cette fée existe puisque le poète lui-même la connait. Un jour, demain, après-demain, dans un an, dans dix ans, ou même encore dans l’au-delà de l’Eternité, elle fera neiger à travers ses mains mal fermées de blancs bouquets d’étoiles parfumées. On le sait bien que toutes les fées font cela.
Apparition
La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S’enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un rêve au cœur qui l’a cueilli.
J’errais donc, l’œil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
Stéphane Mallarmé, Vers et prose, 1893.