Quand, il y a des années de cela, on a pu avoir un chez soi, on a eu la chance de récupérer de la vaisselle et des casseroles et des couverts récupérés chez une grand-mère et une grand-tante qui venaient, comme opportunément, de faire leurs bagages pour partir au Paradis. Ainsi, pendant longtemps, on a utilisé des casseroles cabossées, des couverts un peu tordus, de la vaisselle ébréchée. Toutes les assiettes n’étaient pas ébréchées, mais parmi la pile de ces jolies assiettes blanches bordées d’un filet mauve, il y en avait pas mal quand même. Ainsi, de temps en temps, cette ébréchure (on ne sait pas si ce mot existe) en réapparaissant, et parce qu’on faisait avec, rappelait qu’on était soi-même ébréché ; de même, on était comme certaines casseroles à peine stables car tellement cabossées.
Bien longtemps après, on a regardé tout cela et on s’est dit qu’on méritait mieux quand même et surtout, à force de voir tant de choses autour de soi en si piteux état, on s’est dit qu’on allait vraiment s’y habituer, vraiment faire avec, vraiment l’accepter, vraiment s’y enfermer. Progressivement, on a fait disparaître tout cela. Très lentement, mais très sûrement.
Ce n’est pas que les bosses, les écorchures, les rafistolages ont disparu de notre histoire, mais aujourd’hui on s’applique à ne pas conserver systématiquement un bol ébréché car on a récupéré une sorte d’entièreté de vie.
D’où la question du lundi : que faites-vous d’une assiette, d’un bol, d’un plat quelconque, quand il est ébréché ?
âme ébréchée
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La question du lundi. Ebréché.