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Un printemps avec George Eliot : Dorothea Brooke existe vraiment.

Les très grands romans sont ceux qui racontent des histoires dont on finit par croire qu’elles ont vraiment eu lieu. Il en est de même pour les grands personnages de ces grands romans écrits par de grands écrivains : bien qu’on sache, au début du livre, qu’ils sont inventés, au fur et à mesure de la lecture, ils s’incarnent totalement. Par leurs aventures, certes, mais surtout par leurs états d’âme, leurs fragilités, leurs forces, leurs défauts, leurs erreurs et leurs victoires, ils s’humanisent progressivement et deviennent de réels compagnons. Après la lecture, le compagnonnage se poursuit : on peut parler d’eux comme si on les avait rencontrés en chair et en os ; à des moments particuliers, on se souvient d’eux parce qu’on vit soi-même ou quelqu’un d’autre, une situation identique à celle qui les a abattus ou qui, au contraire, les a fait grandir.
Ainsi de Dorothea Brooke, un des personnages clés de Middlemarch, de George Eliot. Elle est merveilleusement idéaliste et veut vivre intensément en se mettant au service de grandes causes. Pas de juste milieu pour elle ; pas d’eau tiède. Voilà pourquoi elle épouse un homme érudit qui prépare depuis des années l’écriture du livre qui bouleversera le monde. Elle veut être de cette aventure et elle fonce car elle doit donner du sens à sa vie. Elle devient une épouse parfaite, particulièrement attentionnée, commence à apprendre le grec et le latin, … jusqu’au jour où elle se rend compte qu’elle a épousé un égoïste qui n’a pas du tout l’intention de l’associer à son œuvre, œuvre dont on sait depuis le début du roman qu’elle est plus qu’improbable.
C’est au milieu du roman que ses yeux se décillent. Elle se rend compte qu’elle s’est trompée. Elle mesure qui est cet homme à qui elle a lié sa vie tout autant que son propre aveuglement.
Enfin ! se dit-on. Car depuis le début, bien sûr, lecteur avisé, on avait bien tout compris avant elle ! On participe à son combat intérieur quand elle est accablée par sa découverte ; on l’encourage : « Défends-toi ! Ne te laisse pas faire ! » Hélas, elle voit son mari qui monte l’escalier, il a l’air chagrin, fatigué, et elle a pitié de lui. « Oh, le pauvre, comme il doit être malheureux, en fait », se dit-elle certainement. Elle lui prend la main et lui redonne une deuxième chance. Le lecteur avisé est furieux contre elle mais…. il se souvient avoir rencontré plusieurs Dorothea, de ces hommes ou de ces femmes qui, dans une relation, finissent par s’oublier eux-mêmes, qui veulent tellement bien faire, qui espèrent tellement être irréprochables. Lucide sur ce que son mari pense d’elle, elle va continuer encore à tenter de le convaincre qu’elle est quelqu’un de bien.
Et ce qui est formidable dans Middlemarch, c’est qu’au milieu du roman, alors qu’on connait déjà la fin puisqu’on a l’a déjà lue, on marche encore et on voudrait immédiatement aller voir Dorothea, cette bonne copine, pour lui faire entendre raison !



Commentaires

  • vrai de vrai, on s'identifie aux personnages de roman au point de vouloir les aider à retrouver "notre" raison d'exister ... cela nous aide parfois à rectifier la ligne de nos vies propres ...
    amitié .

  • Quel merveilleux portrait de Dorothea en amie que l'on a déjà croisée, où que l'on aimerait tant inviter à venir partager un thé au jardin...
    Merci, Marie. On se découvre ainsi des amis communs !

  • Ah dorothea...j'ai l u deux fois ce roman, je le savais qu'elle s'égarait dans ce mariage, mais;..

  • Oh mille fois oui, combien de fois ai-je eu l'envie de changer le cours d'une histoire imprimée !
    Cela prouve tout le talent d'un auteur de savoir nous embarquer d'une histoire de mots et de papier vers une histoire de chair et de sang...

  • C'est bien vrai, mais comme on a vieilli ou mûri, pour être plus précise, on sait à présent qu'on ne peut changer personne, qu'il lui faudra mûrir à son tour, pour commencer à se libérer du joug dont elle s'est chargée....

  • Quand on peut s'identifier au personnage, celà veut dire que le livre est bon, du moins dans son intrigue. Ensuite reste la façon de le dire ou de l'avoir traduit...

  • Comme on en connaît des Dorothea ! Et comme il est impossible de leur faire entendre raison ! D’ailleurs qui a raison ?

  • l'amour rend aveugle ! toujours espérer ….
    merci Marie pour ce partage.

  • Oui certains personnages ont cette flamme les rendant vivants. Je pense à Ranek personnage de Nuit de Edgar Hilsenrath dans toute sa dimension humaine vivant dans un ghetto roumain.
    J'ai arrêté la lecture du premier roman pour lire le second. Je me suis habituée à l'écriture, à la multitude de détails. Elle est un peintre ou une photographe. De plus elle est d'une grande culture livresque comme d'une réelle culture humaine. Mon personnage pour l'instant ne prend pas le devant de la scène, c'est une jeune femme dont le cœur sera ravagé. Moi aussi j'espère qu'elle se relèvera. Bises.

  • Finalement, le roman c'est un peu comme le théâtre antique.. Cela sert de miroir et de "catharsis" pour le lecteur..

  • J'ai un grand nombre d'amis de ce genre et c'est pourquoi je ne peux me séparer de mes livres.
    Belle journée !

  • C'est très joliment observé et raconté, la vie, d'ailleurs, n'est-elle pas un roman, une histoire que l'on se raconte ? On participe, on tisse du lien, on rêve, il y a de petites histoires et d'autres beaucoup plus grandes, il y en a de moches et puis il y en a de belles... Merci Marie, douce journée à toi. brigitte

  • après plusieurs lectures en effet on éprouve ce besoin de communiquer avec l'héroïne, j'aime cette idée d'un long compagnonnage avec les personnages des romans comme avec certains auteurs comme Montaigne par exemple avec qui j'aurais tellement aimé partager un repas

  • Un beau billet de lectrice passionnée !

  • j'aime vos billets enflammés autour de vos lectures .. vous êtes un bon guide !

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