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  • La première marche.

    La chambre est sobrement meublée. Il n’y a rien ici que l’essentiel. Un lit, un chevet surmonté d’une lampe en cuivre, une table et une chaise. Sur la table un livre, un carnet, un stylo, et comme on n’a pas pensé à prendre un réveil en partant et qu’on ne porte jamais de montre, on ne sait pas l’heure qu’il est. Ce n’est pas grave, car l’important n’est pas de savoir l’heure qu’il est sur un cadran.
    C’est le temps de la pause, dans ce lieu tellement silencieux qu’on s’en voudrait de faire du bruit : on se déplace sur la pointe des pieds quand on ne reste pas au petit bureau qui donne sur la colline ensoleillée.
    C’est l’heure du silence.
    C’est l’heure d’un temps de réflexion.
    C’est l’heure où on fait le point.
    C’est l’heure où on vient laisser le corps et l’esprit tourneboulés se remettre à l’endroit, comme des sillages de mer quand, à la fin du jour, cessent les traversées des bateaux affairés.
    Pendant des instants qu’on ne peut donc mesurer puisque la pendule est ailleurs, on se prend à penser à tout ce qu’on n’a pas fait, ainsi qu’à toute la kyrielle de ce qu’on aurait dû faire, pu faire, éviter de faire, penser à faire. Cela dure.
    Puis, on se souvient de la petite source qu’on a en soi. On la connait bien. Déjà, par le passé, elle avait gelé au fond de l’âme car on l’avait laissée en friche. A cet instant précis, cette première pensée la réchauffe et la première goutte fraie son chemin, comme cela doit se faire dans les flancs des montagnes quand l’eau se prépare à devenir un fleuve : elle avance, toujours et toujours, en dépit d’un rocher ou d’un autre caillou lui barrant la route ; peu lui chaut : qu’est-ce que cela lui coûte de se détourner, de revenir en arrière peut-être, de rallonger la course, car est inné en elle le désir du jour.
    Constantin Cavafis a écrit un poème qui s’intitule La première marche. Il y met en scène Théocrite qui reçoit la plainte d’un jeune poète. Il lui répond : « Même si tu n’es parvenu que sur la première marche, il faut en éprouver du bonheur et de la fierté. »
    La source avance. On la laisse faire avec joie, et cette joie lui plait tant qu’elle se met à chanter déjà dans les plis du cœur. Elle va jaillir et suivre son chemin au long cours. L’air sera doux à son abord.


  • Passer la soirée avec Marie-Thérèse.

    Passer la soirée (en fait, plusieurs soirées, car on a pris son temps), avec le dernier livre d’Elisabeth Badinter, Le pouvoir au féminin, biographie de Marie-Thérèse d’Autriche.
    Ce qui est bien dans ce livre, c’est que ce n’est pas une biographie du genre liste de ce qui s’est passé dans la vie d’une impératrice, mais un questionnement sur l’ensemble d’une vie : pourquoi ? comment ? pourquoi ? que ressent-elle pour agir ainsi ? qu’est-ce qui la guide ? etc.
    Et forcément, la lecture est lente car parsemée des questionnements de la lectrice qui suit Marie-Thérèse et ceux et celles qui l’entourent, Marie-Elisabeth, Marie-Anne, Marie-Antoinette, Marie-Caroline, Elisabeth-Christine, Marie-Amélie, Christine-Louise, François-Etienne, Léopold, Joseph, Frédéric, Catherine, … grâce à des lettres innombrables, à travers une Europe où on parle souvent le Français. On prend aussi son temps pour réfléchir à ce qu’est ce corps symbolique que nous avons tout à chacun. Marie-Thérèse avait plusieurs journées dans une : elle était femme, elle était épouse, elle était mère, elle était reine. Quand elle devint reine, personne ne la prit au sérieux car c'était une femme et elle dut se battre pour s'imposer. Elle fut jeune et belle, puis, avec le temps et les maternités successives, son teint se flétrit, elle devint obèse et son mari partit voir ailleurs. Elle aimait ses enfants, ils étaient malades, elle les soignait, certains mouraient, elle avait du chagrin mais repartait travailler car le devoir l’appelait. Ses enfants survivants finirent, pour la plupart, par partir aux quatre coins de l’Europe et elle ne les voyait plus ; elle savait seulement qu’ils n’en faisaient qu’à leur tête et elle s’inquiétait beaucoup ; elle se disputait constamment avec son fils aîné qui voulait prendre sa place et pensait qu’elle faisait tout de travers.