En ce début d’après-midi, le jour est comme l’été : il fait beau, il fait chaud ; tout est splendide. On suit petites routes et petits chemins pour rendre visite à une amie très chère qu’on aide un peu sur le chemin de sa convalescence. Le lit est dressé au milieu du salon, face au jardin. Tout près, la table est submergée par les boîtes de médicaments ou de pansements ; une perfusion attend que ce soit le soir pour être branchée.
On discute. On rit. On papote. On écoute. On raconte. On regarde les fleurs du jardin. On les nomme. On voit le lilas. On raconte qu’on en a vu un, pendant la semaine, dont les fleurs mauves étaient abondamment odorantes. On ajoute qu’on aime le lilas.
- Attends, on va t’en donner.
Et le mari de cette amie s’en va dans le jardin et revient avec un gros bouquet de lilas mauve.
On continue à parler de choses et d’autres, et en particulier des chênes centenaires près de Bargème et du Lachens où on compte bien retourner tous ensemble. On raconte la dernière promenade de l’été dernier, quand, à peine l’aube passée, on marchait sur les touffes de thym odorant.
- Il t’en reste, d’ailleurs, du thym ?
- Quasiment plus. Il faudra que j’aille bientôt à la cueillette dans la colline !
- Attends, on va t’en donner.
Et le mari de repartir dans le jardin et de revenir avec un bouquet de thym en pleine fleurs.
On continue à parler de choses et d’autres, à faire rire, à parler de l’organisation de la prochaine fête du village. Puis, on dit qu’on doit partir car c’est la messe des Rameaux.
- Et tu en as, des rameaux ?
- Non, je vais en prendre à l’église, en arrivant.
- Attends, on va t’en donner.
Le mari retourne dans le jardin et revient avec un gros bouquet d’olivier et de laurier dont les branches sont attachées avec du rafia.
- Je te ramènerai du rameau béni.
- Oui, c’est gentil.
On repart en repensant à ce qu’écrivait Giono : j’ai ce que j’ai donné. C’est cela, aussi, qui rend fort.
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J’ai ce que j’ai donné, disait Giono.
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Un été avec Giono : Le Moulin de Pologne.
Le livre était sur le dessus de la pile des Giono en attente. On l’a attrapé et on l’a jeté dans le sac de voyage avant de partir en Italie : l’été avec Giono se poursuit.
On le reprend un soir, après une longue et belle journée à naviguer d’un point à un autre du lac de Côme : il est bon de lire chaque soir avant de s’endormir. C’est un volume de la collection Livre de poche. Il porte le numéro 710. En couverture, le nom de l’auteur en noir, Jean Giono, le titre, dans la même couleur et le même caractère, Le Moulin de Pologne, et entre les deux, une illustration dont les contours débordent un peu sur le blanc, comme le font parfois les aquarellistes : une grande maison bourgeoise au toit de tuiles d’un joli brun rose, des volets bleus bien assortis au ciel, une porte d’entrée flanquée d’une volée de marches en pierre ; pour rejoindre la maison, une allée sans doute de gravier et bordée d’arbres zébrés noir et blanc – des bouleaux peut-être ; aucune feuille dans les arbres : c’est l’hiver ; sur le pré, un cheval broute tranquillement.
La petite fille qui nous accompagne durant le voyage en Italie et qui sait qu’on passe l’été avec Giono nous regarde faire et demande :
- C’est celui-là que tu lis en ce moment ?
Puis après avoir palpé le livre :
- C’est une histoire de moulin ?
On explique que la maison s’appelle comme ça, même si elle n’est pas un moulin.
- Ah…
En quatrième de couverture, « du même auteur dans le Livre de Poche : Un de Baumugnes, Regain, les Ames fortes, Colline, Que ma joie demeure ». Le texte est intégral. Le livre a été imprimé en France. Page 181, le nom de l’imprimerie : Brodard et Taupin, Paris-Coulommiers. Date d’impression : 2ème trimestre 1961. Giono a écrit ce livre en 1951. Il lui a fallu 10 ans pour être en livre de poche… Après la page 181, et jusqu’à la fin du volume, le Livre de Poche fait sa publicité. « Le Livre de Poche publie chaque mois les chefs-d’œuvre français et étrangers de la littérature contemporaine, dans leur texte intégral ». Il existe plusieurs séries : romanesque, classique, encyclopédique, exploration, historique, policière. Quelques mots sur la série classique ; elle est nouvelle. Elle « n’est pas conçue dans un esprit scolaire. Elle entend présenter les grandes œuvres consacrées par le temps » et « remettre en lumière certains écrivains qui, faute d’une diffusion suffisante, n’ont pas conquis la notoriété qu’ils méritaient » ; il y aura une préface « qui situera l’œuvre et l’auteur », écrite par « un des plus grands écrivains français de ce temps ». (Mais dans le volume qu’on a en mains, il n’y a pas de préface). Voici la liste des volumes parus et à paraître dans le 2ème trimestre 1961 : Suétone, Vie des Douze Césars ; G. de Nerval : Les Fille du feu suivi de Aurélia ; Dostoïevski, Les Possédés ; Th. Gauthier, Le Capitaine Fracasse, Baudelaire, Les Fleurs du mal, Balzac, Les Chouans, Flaubert, Madame Bovary. Le même trimestre que Giono…
Mais où donc a-t-on récupéré ce volume ? Il est usé comme souvent les livres qui sont passés de mains en mains. A l’intérieur, les pages sont jaunies. Parfois, elles se décollent. Ne l’aurait-on pas acheté au marchand de livres d’occasion qui était sur le marché de la ville où on a vécu longtemps avant que le destin n’incite à en partir ? Son stand était immense et on y trouvait tout ce qu’on voulait pour une somme dérisoire. On pouvait rapporter les livres, les échanger, donc, on lisait pour pas cher car on lisait beaucoup et on n’avait peu de moyens. On y allait souvent, le dimanche matin, pendant longtemps avec son père, féru de romans policiers et on repartait ayant chacun sous son bras plusieurs volumes ; 7 pour lui, car il lisait un livre par jour.
Mais revenons à Giono et au Moulin de Pologne.
- Tu me fais la lecture ? On dirait ça : tous les soirs, tu m’en lis un passage. Ça doit être bien : c’était sympa à Manosque !
Elle était avec nous à Manosque et avait pu prendre tout ce qu’elle avait voulu quand on était allé à la librairie Le Petit Pois….
C’est parti !
Le Moulin de Pologne est un roman de Giono tout à fait particulier. L’histoire met en scène une famille soumise totalement au destin à tel point que malgré tous les garde-fous mis en place, les drames s’accumulent et semblent inéluctables. A un moment pourtant un homme, Joseph, va prendre les choses en mains et prouver qu’on n'est pas obligé d’être malheureux, donnant au passage une leçon à l’esprit étroit de ses voisins. Résumer l’histoire en quelques lignes, c'est une chose ; faire la lecture d’un roman de 180 pages, c'est autre chose. Le premier soir, la lecture fut souvent interrompue par :
- Je comprends rien.
- C’est long, quand même…
- Mais qui c’est qui parle, là ?
- Bon, alors, Joseph, c’est qui ? Pourquoi c’est si long ?
- En fait, y a pas d’action.
- C’est lui qui a écrit le guide que tu lis tout le temps quand on visite une église ?
- Ca se passe au Moyen-Age ?
On décida donc de préparer la lecture de quelques passages clés ou plutôt « quand il se passe quelque chose », et à bien maîtriser l’arbre généalogique de la famille Coste.
Et chaque soir, on lut quelques pages. La mort du Père Coste, la mort de la petite Marie, étranglée par une cerise, la mort de sa mère en couches…
- C’est qui, elle, déjà ?
- C’est qui, lui, au fait ?
- C’est le père, alors ? Et Joseph, pourquoi il en parle plus ?
Celle de Clara, son mari et ses deux fils dans un accident de train, la mort de Jean….
- Mais ils meurent tous, dans cette histoire ? Tu vois, c’est comme dans les films que tu trouves trop violents.
On lut plusieurs passages sur la société villageoise et sa cruauté ; on parla des dangers de la médisance, du cancanage, on expliqua ce que cela peut être de vivre dans un monde clos, replié sur lui-même, dans lequel les gens sont persuadés d’avoir raison et sont incapables d’admettre la diversité.
Quand on évoqua les brimades vécues par Julie à l’école en raison de « l’originalité funeste » de l’histoire de sa famille :
- C’est vrai, y en a, ils sont trop durs. Ca existait alors déjà au Moyen Age ?
- Elle est bien, sa mère, de l’avoir retirée de l’école. Elle a eu raison. C’est qui déjà sa mère ?
Et quand il s’agit de la fureur des habitants au moment où Julie exhibe sa voix et s’habille de façon outrancière pour l’époque :
- Ils sont débiles, franchement, je vois pas pourquoi on n’aurait pas le droit de s’habiller comme on veut et puis, si elle aime chanter…
Enfin, on parvint au moment de l’histoire où Julie demande, au moment de la tombola, si quelqu’un peut gagner le bonheur : Joseph, le personnage énigmatique du début, revint au premier plan. Il épousa Julie et la rendit heureuse.
- En fait, il est normal, ce Joseph. Pourquoi ils en avaient peur ?
- Mais j’ai toujours pas compris pourquoi l’autre, là, il réfléchit tout le temps…
- Oui, le narrateur… Il doit être vraiment vieux…
A la fin, le fils de Julie s’enfuit avec une gourgandine…
- Une quoi ?
Il fallut expliquer.
- Il s’en va, quoi. Avec une plus jeune. Finalement, pour une histoire qui se passe au Moyen-Age, c’est assez moderne.