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un été avec giono

  • Un été avec Giono : Le serpent d’étoiles.

    Pour finir cet été avec Giono, Le serpent d’étoiles a été un cadeau plus que magnifique car il a permis de lire comme on aime : lentement, en regardant sur une carte pour suivre où vont les bergers et le narrateur, en imaginant ce pays que l’auteur décrit comme une mer alors qu’il est pétrifié, en buvant les mots avec délice, en frissonnant de plaisir, en relisant des passages avec un ravissement étourdissant.

    Il n’y a certainement pas de hasard. Alors qu’on début de l’été on sentait la vie risquer de fuir, les livres, par Giono, sont venus montrer que pour les livres, comme pour tout, rien ne sert d’accumuler. Il est urgent d’aller à l’essentiel. On aurait pu relire « tout » Giono… mais non. On a pris le temps. On s’est posé, le temps de plusieurs lectures. Aucun des livres de Giono qui sont passés entre nos mains ne seront oubliés. On saura retrouver une page, un mot, un moment de l’histoire. Il n’y aura pas eu de consommation de lecture, mais une vie de lecture, une vie de lectrice, des heures clés. Ces livres ne rejoindront pas l’anonymat de rayonnages ; ils brilleront de l’éclat des Giono sur cette étagère-là : on n’aura pas à les chercher quelque part parmi les milliers de livres : on pourra les rejoindre directement et il restera encore tant à découvrir...

    C’est un livre de poche de 170 pages. La couverture est blanche, jaune, et noir fusain. On y voit un berger tel qu’on peut les imaginer, allant d’un bon pas, le chapeau sur la tête, l’ample cape sur les épaules, jouant de la flûte. On serait tenté de dire « fifre » car, dès l’enfance, on a associé le fifre et le berger… . Il a fallu plus de trois semaines pour lire Le serpent d’étoiles. Plusieurs passages ont été relus à de nombreuses reprises et, quand on avait posé le livre un certain temps pour reprendre son souffle, il n’était pas rare qu’on reparte en arrière de quelques pages.

    Non, on n’a pas lu vite, alors qu’il semble que ce soit une qualité, de lire vite. On n’a pas forcément lu bien non plus. On a lu bon. C’est l’autre grand cadeau de Giono, cet été, que cette reprise de l’habitude de lire lentement, très lentement. Pour un des livres, d’ailleurs, on en a même lu des passages à voix haute !

    Voilà, cet été, on a lu. Lu et relu. On s’est gavé de lecture et de mots. On était saoule. Relire des livres, lus il y a longtemps. Relire des passages qu’on venait de lire. Aller et venir dans un livre, entre les pages, entre les mots, entre les dates, entre les lieux. On avait besoin de cela : lire. Et quand on dit « lire », il ne s’agissait pas de lire les mots, les uns après les autres, mais de suivre la trace de ce que ces mots sont vraiment, car ils sont un chemin où l’on va pas à pas. Comme cela a été bon de lire ainsi cet été !

    De lire une histoire de bergers qui racontent eux-mêmes une histoire et sont qui l’herbe, qui le fleuve, qui la mer, qui l’Homme, dans le décor de la terre et du ciel, mis en scène par les étoiles et la lune ; ils parlent dans leur propre langue car ils sont libres : « et de mots inventés sur place pour le besoin immédiat ».

    De lire cela : « La terre soupira un long soupir si doux, si calme qu’à peine deux ou trois tourbillons d’oiseaux s’élevèrent ». « Je me souvenais toujours de cette fin de nuit. L’aube venait. Je le sus parce que les yeux des moutons s’étaient éteints tous ensemble. La lune s’enfonça sous l’ombre ». « A la perte de la vue, sur la terre noire, clapotait la lourde mer des troupeaux ». « Berger, marin de terre ».

    Et cela : Césaire, encore enfant, apprend le métier de berger ; Bouscarle est son baïle et lui apprend aussi à jouer de la flûte ; l’enfant a du mal :

    « Tu résistes, garçon, disait Bouscarle, tu résistes, tu vas au fond, laisse toi porter, fais-toi mou, laisse-toi vivre de la vie sans penser que tu joues de la flûte, et, alors, tu joueras ». Il disait le vrai. Alassé de bataille, dans le moment où toutes les étoiles couraient dans le ciel comme des graines au vent, je jouais. Cela venait du cœur comme un débond soudain et ça m’allégeait à mesure, et par le canon de ma flûte je me vidais, comme une bonne fontaine se purge de son eau noire ».

    Un été avec Giono : « laisse-toi vivre de la vie ».


  • Un été avec Giono : Le Moulin de Pologne.

    Le livre était sur le dessus de la pile des Giono en attente. On l’a attrapé et on l’a jeté dans le sac de voyage avant de partir en Italie : l’été avec Giono se poursuit.

    On le reprend un soir, après une longue et belle journée à naviguer d’un point à un autre du lac de Côme : il est bon de lire chaque soir avant de s’endormir. C’est un volume de la collection Livre de poche. Il porte le numéro 710. En couverture, le nom de l’auteur en noir, Jean Giono, le titre, dans la même couleur et le même caractère, Le Moulin de Pologne, et entre les deux, une illustration dont les contours débordent un peu sur le blanc, comme le font parfois les aquarellistes : une grande maison bourgeoise au toit de tuiles d’un joli brun rose, des volets bleus bien assortis au ciel, une porte d’entrée flanquée d’une volée de marches en pierre ; pour rejoindre la maison, une allée sans doute de gravier et bordée d’arbres zébrés noir et blanc – des bouleaux peut-être ; aucune feuille dans les arbres : c’est l’hiver ; sur le pré, un cheval broute tranquillement.
    La petite fille qui nous accompagne durant le voyage en Italie et qui sait qu’on passe l’été avec Giono nous regarde faire et demande :
    - C’est celui-là que tu lis en ce moment ?
    Puis après avoir palpé le livre :
    - C’est une histoire de moulin ?
    On explique que la maison s’appelle comme ça, même si elle n’est pas un moulin.
    - Ah…
    En quatrième de couverture, « du même auteur dans le Livre de Poche : Un de Baumugnes, Regain, les Ames fortes, Colline, Que ma joie demeure ». Le texte est intégral. Le livre a été imprimé en France. Page 181, le nom de l’imprimerie : Brodard et Taupin, Paris-Coulommiers. Date d’impression : 2ème trimestre 1961. Giono a écrit ce livre en 1951. Il lui a fallu 10 ans pour être en livre de poche… Après la page 181, et jusqu’à la fin du volume, le Livre de Poche fait sa publicité. « Le Livre de Poche publie chaque mois les chefs-d’œuvre français et étrangers de la littérature contemporaine, dans leur texte intégral ». Il existe plusieurs séries : romanesque, classique, encyclopédique, exploration, historique, policière. Quelques mots sur la série classique ; elle est nouvelle. Elle « n’est pas conçue dans un esprit scolaire. Elle entend présenter les grandes œuvres consacrées par le temps » et « remettre en lumière certains écrivains qui, faute d’une diffusion suffisante, n’ont pas conquis la notoriété qu’ils méritaient » ; il y aura une préface « qui situera l’œuvre et l’auteur », écrite par « un des plus grands écrivains français de ce temps ». (Mais dans le volume qu’on a en mains, il n’y a pas de préface). Voici la liste des volumes parus et à paraître dans le 2ème trimestre 1961 : Suétone, Vie des Douze Césars ; G. de Nerval : Les Fille du feu suivi de Aurélia ; Dostoïevski, Les Possédés ; Th. Gauthier, Le Capitaine Fracasse, Baudelaire, Les Fleurs du mal, Balzac, Les Chouans, Flaubert, Madame Bovary. Le même trimestre que Giono…
    Mais où donc a-t-on récupéré ce volume ? Il est usé comme souvent les livres qui sont passés de mains en mains. A l’intérieur, les pages sont jaunies. Parfois, elles se décollent. Ne l’aurait-on pas acheté au marchand de livres d’occasion qui était sur le marché de la ville où on a vécu longtemps avant que le destin n’incite à en partir ? Son stand était immense et on y trouvait tout ce qu’on voulait pour une somme dérisoire. On pouvait rapporter les livres, les échanger, donc, on lisait pour pas cher car on lisait beaucoup et on n’avait peu de moyens. On y allait souvent, le dimanche matin, pendant longtemps avec son père, féru de romans policiers et on repartait ayant chacun sous son bras plusieurs volumes ; 7 pour lui, car il lisait un livre par jour.
    Mais revenons à Giono et au Moulin de Pologne.
    - Tu me fais la lecture ? On dirait ça : tous les soirs, tu m’en lis un passage. Ça doit être bien : c’était sympa à Manosque !
    Elle était avec nous à Manosque et avait pu prendre tout ce qu’elle avait voulu quand on était allé à la librairie Le Petit Pois….
    C’est parti !
    Le Moulin de Pologne est un roman de Giono tout à fait particulier. L’histoire met en scène une famille soumise totalement au destin à tel point que malgré tous les garde-fous mis en place, les drames s’accumulent et semblent inéluctables. A un moment pourtant un homme, Joseph, va prendre les choses en mains et prouver qu’on n'est pas obligé d’être malheureux, donnant au passage une leçon à l’esprit étroit de ses voisins. Résumer l’histoire en quelques lignes, c'est une chose ; faire la lecture d’un roman de 180 pages, c'est autre chose. Le premier soir, la lecture fut souvent interrompue par :
    - Je comprends rien.
    - C’est long, quand même…
    - Mais qui c’est qui parle, là ?
    - Bon, alors, Joseph, c’est qui ? Pourquoi c’est si long ?
    - En fait, y a pas d’action.
    - C’est lui qui a écrit le guide que tu lis tout le temps quand on visite une église ?
    - Ca se passe au Moyen-Age ?
    On décida donc de préparer la lecture de quelques passages clés ou plutôt « quand il se passe quelque chose », et à bien maîtriser l’arbre généalogique de la famille Coste.
    Et chaque soir, on lut quelques pages. La mort du Père Coste, la mort de la petite Marie, étranglée par une cerise, la mort de sa mère en couches…
    - C’est qui, elle, déjà ?
    - C’est qui, lui, au fait ?
    - C’est le père, alors ? Et Joseph, pourquoi il en parle plus ?
    Celle de Clara, son mari et ses deux fils dans un accident de train, la mort de Jean….
    - Mais ils meurent tous, dans cette histoire ? Tu vois, c’est comme dans les films que tu trouves trop violents.
    On lut plusieurs passages sur la société villageoise et sa cruauté ; on parla des dangers de la médisance, du cancanage, on expliqua ce que cela peut être de vivre dans un monde clos, replié sur lui-même, dans lequel les gens sont persuadés d’avoir raison et sont incapables d’admettre la diversité.
    Quand on évoqua les brimades vécues par Julie à l’école en raison de « l’originalité funeste » de l’histoire de sa famille :
    - C’est vrai, y en a, ils sont trop durs. Ca existait alors déjà au Moyen Age ?
    - Elle est bien, sa mère, de l’avoir retirée de l’école. Elle a eu raison. C’est qui déjà sa mère ?
    Et quand il s’agit de la fureur des habitants au moment où Julie exhibe sa voix et s’habille de façon outrancière pour l’époque :
    - Ils sont débiles, franchement, je vois pas pourquoi on n’aurait pas le droit de s’habiller comme on veut et puis, si elle aime chanter…
    Enfin, on parvint au moment de l’histoire où Julie demande, au moment de la tombola, si quelqu’un peut gagner le bonheur : Joseph, le personnage énigmatique du début, revint au premier plan. Il épousa Julie et la rendit heureuse.
    - En fait, il est normal, ce Joseph. Pourquoi ils en avaient peur ?
    - Mais j’ai toujours pas compris pourquoi l’autre, là, il réfléchit tout le temps…
    - Oui, le narrateur… Il doit être vraiment vieux…
    A la fin, le fils de Julie s’enfuit avec une gourgandine…
    - Une quoi ?
    Il fallut expliquer.
    - Il s’en va, quoi. Avec une plus jeune. Finalement, pour une histoire qui se passe au Moyen-Age, c’est assez moderne.