Dans son livre magnifique, Nourrir sa vie, François Jullien emploie une expression marquante : arriver à la « transparence du matin » (page 20, Points Essais).
Qu’est-ce que la transparence du matin ? On est resté page 20 pendant plusieurs semaines. S’agit-il d’un matin d’été, ou d’hiver, ou de printemps ou d’automne ? Y a-t-il des matins plus transparents que d’autres ? Peut-être... Certains d’entre eux ont pu être des repères. On prendra l’exemple de celui d’un jour d’août, au sommet du Lachens. Près de rochers bordés de lavande. L’air était léger. Sa pureté palpable, jusqu’à rendre le ciel tout enveloppant. Il était aisé d’être en cohérence avec son élan vital.
Ici, il a fallu plusieurs dizaines d’années pour se diriger vers cette transparence car le "délestage" (le mot est aussi de François Jullien) a été bien plus long qu’on ne pensait, d’autant que des imprévus multiples ont fait naître des ralentissements voire, parfois, des bouchons. Il ne faut pas leur en vouloir, à ces imprévus : ils ont aussi apporté leur pierre à l’édifice.
On est assez proche maintenant, de cette transparence. On en est à une sorte de simplicité qui n’est pas encore pleine mais on vit sans fard, sans agitation, sans faire-valoir ; on ne se sent ni en retard, ni en avance, ni débordée ni débordante.
Le chemin se poursuit.
le lachens
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La transparence du matin.
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J’ai ce que j’ai donné, disait Giono.
En ce début d’après-midi, le jour est comme l’été : il fait beau, il fait chaud ; tout est splendide. On suit petites routes et petits chemins pour rendre visite à une amie très chère qu’on aide un peu sur le chemin de sa convalescence. Le lit est dressé au milieu du salon, face au jardin. Tout près, la table est submergée par les boîtes de médicaments ou de pansements ; une perfusion attend que ce soit le soir pour être branchée.
On discute. On rit. On papote. On écoute. On raconte. On regarde les fleurs du jardin. On les nomme. On voit le lilas. On raconte qu’on en a vu un, pendant la semaine, dont les fleurs mauves étaient abondamment odorantes. On ajoute qu’on aime le lilas.
- Attends, on va t’en donner.
Et le mari de cette amie s’en va dans le jardin et revient avec un gros bouquet de lilas mauve.
On continue à parler de choses et d’autres, et en particulier des chênes centenaires près de Bargème et du Lachens où on compte bien retourner tous ensemble. On raconte la dernière promenade de l’été dernier, quand, à peine l’aube passée, on marchait sur les touffes de thym odorant.
- Il t’en reste, d’ailleurs, du thym ?
- Quasiment plus. Il faudra que j’aille bientôt à la cueillette dans la colline !
- Attends, on va t’en donner.
Et le mari de repartir dans le jardin et de revenir avec un bouquet de thym en pleine fleurs.
On continue à parler de choses et d’autres, à faire rire, à parler de l’organisation de la prochaine fête du village. Puis, on dit qu’on doit partir car c’est la messe des Rameaux.
- Et tu en as, des rameaux ?
- Non, je vais en prendre à l’église, en arrivant.
- Attends, on va t’en donner.
Le mari retourne dans le jardin et revient avec un gros bouquet d’olivier et de laurier dont les branches sont attachées avec du rafia.
- Je te ramènerai du rameau béni.
- Oui, c’est gentil.
On repart en repensant à ce qu’écrivait Giono : j’ai ce que j’ai donné. C’est cela, aussi, qui rend fort.