On l’avait déjà remarqué quand, adolescente, on avait lu pour la première fois Les Hauts de Hurle Vent : plusieurs personnages, à des époques différentes, portent le même prénom et passent d’un nom à l’autre comme s’il s’agissait de brouiller les pistes de leur propre histoire, ou parce qu’ils ne peuvent être vraiment propriétaires de leurs vies. Il en est ainsi de Catherine. Catherine Earnshaw. Catherine Linton. Catherine Heathcliff. Et ce Heathcliff, là un nom de famille, est en fait le prénom d’un enfant mort qu’on attribue à un autre enfant surgit de nulle part. Dans ces familles, c’est comme si on se passait le prénom comme des relayeurs se passent le témoin lors d’une course effrénée : à toi. A ton tour de te débrouiller avec cette histoire !
Ici, on se partage un même prénom, au fil des générations, parfois dans une même génération, et on a cru, pendant longtemps, qu'il ne pouvait que s’accompagner d’un lourd tribut, sans doute parce que, entre autres, on avait lu Les Hauts de Hurle Vent très jeune.
Jusqu’au jour où on a compris qu’il était plutôt un liant : une trace d’une femme à une autre, d’un temps à un autre. Le fil de l’histoire oui, mais un fil souple et bouclé quand on a cessé de le bander comme on fait de la corde de l’arc, au risque de le briser. De se briser.
Quel bonheur fut ce jour où on fut soi-même en capacité de renforcer les fêlures pour qu’elles ne cèdent pas.
Aujourd’hui, on souhaite une bonne fête à toutes les Marie, où qu’elles soient, quelles qu’elles soient.
MOISSONNER / Bonheur du jour quotidien - Page 155
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Un été avec les Sœurs Brontë. 3 : un prénom pour plusieurs.
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Gelati.
A la nuit tombée, il fait bon et, comme on l’a fait déjà depuis plusieurs soirs, on sort marcher. On a l’impression que tous les habitants sont là, à prendre le frais. On en reconnait quelques-uns qu’on a croisés le matin même aux abords du marché, portant un panier à provisions d’où sortaient ces longues courgettes italiennes, fines et tordues. Une différence toutefois : ce soir, ces mêmes personnes se sont mises sur leur trente-et-un. On est dépassé par des enfants qui courent et qui piaillent tout autant que des oiseaux au Printemps. Des parents, fiers, promènent leurs progénitures dans des poussettes ou des landaus. Des terrasses bordent ce corso. A l’intérieur, au comptoir, des gens debout parlent aussi.
On va et on vient dans les ruelles, on fait un crochet sur la grande via dont on aime les arcades et le sol carrelé. On décide de manger une glace. La devanture est encore plus bariolée que les passants du soir. Le granite est remué posément dans un grand réservoir. On va bientôt choisir quand arrive une nuée d’enfants, ceux qu’on a déjà croisé peut-être tout à l’heure et qui étaient comme une nichée d’oisillons qui savent désormais voler. Ils se collent à la devanture, les mains sur la vitrine et disent tout haut ce dont ils ont envie. On leur laisse la place car, de toute façon, ils envahissent totalement l’espace, certains contournant même la vitrine pensant mieux voir et mieux se faire entendre. Le marchand de glaces lui aussi les accueille en souriant et il commence à les servir, les uns après les autres avant même que les accompagnatrices rejoignent le groupe. Il suit fidèlement les choix de parfums, toujours confirmés par un index tendu vers le pot de glace dans lequel il plonge la cuillère et, quand il pose la glace au sommet du cornet, dans des gestes précis, ses yeux brillent tout autant que ceux des enfants. Chaque cornet est donné avec une petite serviette en papier blanc et chaque enfant dit merci et repart lécher sa glace. Une fois tous les enfants servis, les monitrices choisissent aussi, et quand tout ce monde est parti, il y a un moment de silence jusqu’à ce que le marchand dise, dans un léger souffle : …. Bambini…
Puis, on s’approche soi-même de la vitrine. On met les mains contre la vitre. On montre du doigt les parfums qu’on désire. On hésite. On change. On revient à son premier choix. On regarde les cornets que propose le marchand, comme si on pouvait choisir entre une boule, deux boules ou trois boules. Tre. On surveille les gestes du marchand. On attrape son cornet avec précaution, prêt à lécher la première coulure. On dit grazie et on repart en marchant tranquillement le long de la via et en léchant la glace dans la fraîcheur du soir.