Alors qu’on rentre, on se rend compte que la nuit tombe plus vite maintenant. On s’assied sur une chaise. On respire à peine comme si, après la décision qu’on a prise, on devrait se ratatiner pour prendre moins de place. A ce moment-là, on se souvient de Mozart, celui qui ne fut jamais la proie du désespoir. On murmure l’adagio du concerto pour clarinette. On se lève. On monte dans le bureau attraper le livre d’Eric-Emmanuel Schmitt, Ma vie avec Mozart. Le livre s’ouvre à la page qu’on aime : « Au début j’ai pensé que tu m’envoyais cet adagio par sympathie, juste pour me prouver que tu avais connu, toi aussi, le chagrin.
On laisse couler ses larmes.
Puis le morceau continua et je m’aperçus que tu me disais autre chose. Quoique douce, délicate, la clarinette refusait de fléchir, de céder à la déprime, elle remontait, elle chantait, elle s’épanouissait. Le chagrin se transfigurait. De ton sentiment, tu faisais une œuvre. La tristesse s’était muée en beauté.
J’appuyais mon dos sur la banquette de cuir, je renversais la tête en arrière et laissai couler mes larmes ».
Puis, on écoute l’intégralité du Concerto pour clarinette en la majeur, K. 622 en vaquant dans la maison, en brossant les chats qui reviennent le poil en désordre de leurs promenades dans les jardins brûlés de soleil, en lisant une lettre reçue le matin même, en se réjouissant que les graines de roses trémières soient en chemin, en préparant une tisane de tilleul ramenée d’Italie, …
MOISSONNER / Bonheur du jour quotidien - Page 153
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Mozart, celui qui ne fut jamais la proie du désespoir.
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Du luxe.
On ramène chaque semaine, dans deux cagettes au moins, les légumes de J. : tomates, poivrons, aubergines, courgettes. J. n’omet jamais de rajouter un bouquet de basilic qu’il pose délicatement sur le dessus.
Ces légumes, on sait tout d’eux : où leurs graines ont été plantées et par qui, qui s’en est occupé jusqu’à ce qu’ils soient mûrs à point, qui les a ramassés, qui les a mis dans les cagettes. Ils n’ont connu que l’air d'Ollioules et ils ont quitté leur champ quand on a demandé à les récupérer.
Les aubergines ont la peau lisse et brillante mais le pédoncule et le calice sont extrêmement piquants. Les courgettes offrent autant de variétés de couleurs que de formes : des longues vert foncé, des petites et des rondes vert clair, des oblongues jaunes. Certaines sont bien droites ; d’autres doucement courbées. On fera un farci avec les rondes. Les poivrons ont poussé librement et le montrent bien : bien renflés pour les uns, bien tordus pour les autres. A peine en possession de la cagette, on en attrape un pour le croquer comme ça.
Les tomates, alors là, c’est le festival. Rouges, vertes, jaunes, brunes. Grosses, petites, rondes, longues. On sait que le premier repas qu’on fera de ce panier magnifique en rentrant tout à l’heure, ce sera une salade de tomates. Tomate, plutôt. On prendra la belle grosse tomate rouge, là. Celle dont les joues sont bien renflées. La belle toute dodue. On la coupera en deux et on découvrira sa chair ferme et pleine. On fera des tranches fines qu’on posera sur les assiettes, avec les feuilles du basilic et l’huile d’olive.
Si ce n’est pas du luxe, ça….