Ici, on fait une tarte aux quetsches chaque année. Une seule car si la cuisiner est une expérience enthousiasmante, ce dessert tout simple porte en lui d’incomparables souvenirs dont celui du goût de l’enfance : on ne cesse de le rechercher en même temps qu’on a la lucidité de savoir qu’on ne le retrouvera pas. D’ailleurs, si on le retrouvait, qu’en serait-il du temps qui passe ? Il n’est pas sûr qu’on n’en soit pas totalement bouleversée.
Donc, tout d’abord, il faut des quetsches. Un kilo à peu près pour l’appareil, mais il est conseillé d’en prendre plus car, en les dénoyautant, il est agréable d’en manger. Les prunes oblongues à la peau violette irisée comme peut l’être le marbre étaient sur l’étal d’un marchand et quand on les a vues, on a su que le moment annuel de la tarte aux quetsches était arrivé. Il a fallu toutefois les goûter afin de s’assurer de leur maturité. Oui, elles étaient bonnes. Mais jamais elles ne seront celles qu’on allait chercher dans les vergers à même l’arbre lors de ces mois de septembre d’antan à la lumière dorée. On partait paniers sous le bras. On riait. Monsieur J. donnait ses fruits et prêtait son échelle ; il demandait seulement à ce qu’on ne grimpe pas dans les arbres pour ne pas risquer d’abîmer les branches ; mais celui qui plus tard plantera partout des graines de belle-de-nuit était encore un enfant espiègle et il aimait désobéir ; il grimpait dans l’arbre, faisait semblant de tomber, nous faisait crier de peur et allait chercher au plus haut les plus belles des quetsches. Grosses. Tièdes. Juteuses.
Une fois qu’on a les quetsches, on les lave, on les dénoyaute et on les réserve.
On fait la pâte à tarte : deux cent cinquante grammes de farine, cent cinquante grammes de beurre, une pincée de sel, de l’eau. Il faut utiliser le saladier en pyrex au motif véronique. Il a toujours rendu la pâte meilleure. Une fois que la boule est formée, on la laisse reposer en posant le saladier sur, aujourd’hui, le plan de travail, hier, sur la table de la cuisine en formica.
Ensuite, on étale la pâte. Bien fariner, bien passer le rouleau en bois pour obtenir un large disque bien fin. Mais on n’obtient jamais cette pâte fine et solide, jaune, qu’on pliait en quatre tout d’abord afin de ne pas risquer de la déchirer en la mettant sur le moule. On tapisse bien le moule, mais on n’obtient jamais les mêmes bords qui, une fois cuits, seront croustillants à souhait, légèrement brunis.
On dispose les quetsches délicatement, bien serrées les unes contre les autres mais, aujourd’hui encore, on a beau s’appliquer en tirant légèrement la langue car c’était notre travail à l’époque, le résultat a beau être bien régulier, on a beau saupoudrer de sucre à l’aide d’une grosse cuillère, d’ailleurs, n’est-ce pas toujours la même, ce n’est pas satisfaisant, et on bouge une prune par-ci, une autre par-là, jusqu’au moment où on se décider à enfourner le plat.
Quand on sort la tarte quarante minutes plus tard, les prunes ont bien cuit et le jus clapote encore ; la pâte est dorée, les bords brunis ; la cuisine embaume.
Le soir, après la soupe poireaux pommes de terre coriandre, on pose la tarte sur la table et les mines sont réjouies. Les félicitations fusent. On découpe la tarte, on sert les parts, et on fait comme elle faisait : on en amène aux voisins pour leur dessert. Puis on revient et on mange. Oui, elle est délicieuse, mais ce n’est pas celle qu’on a mangé, enfant, le soir. On réessaiera l’an prochain. Les quetsches seront meilleures, peut-être. Ou la farine. Ou le beurre. Ou le four. …..
CUISINER / Dans la cuisine - Page 16
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Dans la cuisine : la tarte aux quetsches.
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Dans la cuisine : la soupe à la tomate.
Pour bien réussir la soupe à la tomate, il s’agit d’avoir de belles tomates bien bien mûres, et donc bien lourdes. Il en faut deux bons kilos. Celles de J., qui ont poussé à Ollioules, sont parfaites pour cela : on les pèle sans aucune difficulté avec la pointe du couteau et elles expriment un bon jus épais. Au fur et à mesure qu’on les coupe, on les pose dans un saladier, en attente. C’est très important de les poser dans le saladier, et non de les y laisser tomber : il faut toujours respecter les légumes ; imaginez qu’on vous laisse tomber dans un saladier, que diriez-vous donc ?
On prend les pommes de terre. Un kilo à peu près. Celles de M., qui ont poussé à Six-Fours, sont très bien pour la soupe. On lui en a demandé des grosses.
- « Pour la soupe ?
- Oui, pour la soupe.
- Alors il faut des oignons aussi. (Prononcer ou-a-gnons).
- Mettez m’en trois gros. »
On pèle les pommes de terres, grosses et tordues et on les coupe elles-aussi en cubes, avant de les mettre dans un autre saladier.
On pèle aussi les oignons, ce qui fait piquer les yeux, et on se souvient que dans l’antan, on faisait une remarque à propos des peaux de l’ou-a-gnon… Que disait-on ? L’hiver serait froid s’il y avait beaucoup de peaux ou peu de peaux ?
Dans la marmite en fonte, faire fondre du beurre ; un bon morceau. Prendre du vrai beurre, bien jaune. Au fur et à mesure que le beurre fond, ajouter les ou-a-gnons et remuer vivement. Quand tout le beurre est fondu et que les ou-a-gnons commencent à devenir translucides, mettre les pommes de terre puis les tomates.
Aller chercher une branche de romarin sur la terrasse. Dans le placard, prendre le pot rempli de feuilles de laurier et en poser deux sur le dessus. Poivrer. Recouvrir délicatement d’eau, mais pas trop d'eau. Faire cuire à feu vif jusqu’à ce que ça bouille bien puis baisser le feu et laisser mijoter un bon moment. On peut ainsi faire le repassage, regarder une émission sur Clara Haskil, faire le courrier, voire même déjeuner, prendre le café, aller chercher le courrier, et lire le journal car la soupe est prévue pour le soir.
Quand tout semble bien cuit, réduit, facile à remuer, bref, quand c’est le moment, mixer.
Mixer longuement afin que la soupe soit onctueuse. C’est comme une crème.