Un été avec Romain Gary : « Les cerfs-volants », un magnifique roman dédié à la mémoire, publié en 1980. Le dernier d’une œuvre prodigieuse. Quelques mots prononcés par Ambroise, l’oncle du narrateur, le jeune Ludovic, donne le ton des convictions qu’il serait bien d’avoir encore aujourd’hui : « (…) si tu aimes vraiment quelqu’un ou quelque chose, donne-lui tout ce que tu as et même tout ce que tu es, et ne t’occupe pas du reste… » (1)
Anniversaire : Dans la grande salle du restaurant de la grande maison pleine de pensionnaires durant l’été, pour une semaine ou plus, c'est selon, fêter l’anniversaire d’une dame dont on ne dira pas l’âge. On a fait préparer le grand gâteau à la crème qu’elle aime et au moment du dessert, on le lui amène, surmonté de bougies que, dans son émotion, elle a de la peine à souffler parce que vraiment, répètera-t-elle plusieurs fois, je ne m’y attendais pas ! A tour de rôle, chacun se lève pour lui présenter ses vœux – certains osent un baiser sur la joue qu’elle accepte bien volontiers tellement elle est heureuse -, on prend des photos, on sert à boire et le gâteau est coupé en autant de parts qu’il faut et qu’on amène d’un bout à l’autre de la pièce en veillant bien à n’oublier personne. Et quand la dame dont c’est l’anniversaire soulève son verre et salue toute l’assemblée joyeuse, elle sourit. C’est alors qu’on l’applaudit avant de se régaler de la bonne crème dont on n’hésitera pas à, éventuellement, s’en lécher les doigts et de vider le verre de Moscato.
(1) Romain Gary, Les Cerfs-volants, Folio, n°1467, p. 17. Livre emprunté à la médiathèque Jacques Duhamel de Sanary-sur-mer, cote R/GAR.
Gourmandise de mots - Page 6
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Un été avec Romain Gary, un anniversaire avec de la crème.
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Highlands, au-delà de ce qu’on a perdu.
Lecture de « Highlands », de Jérôme Magnier-Moreno.
Livre emprunté à la médiathèque Jacques Duhamel de Sanary-sur-Mer, cote RP MAG. Publié en 2024, Ed. Gallimard, collection Le sentiment géographique.
L’écriture et les tableaux qui accompagnent le récit au point d’en faire partie sont superbes.
En lisant ce livre, j’ai pensé à ce que disait Hermann Hesse de la terre natale qui est bien souvent notre enfance ; ce moment de notre vie où les choses semblent si stables, éternelles sans doute, qu’il arrive bien souvent, quand un désastre nous touche alors que nous sommes devenus grands, qu’on veuille rembobiner le fil de notre histoire pour revenir à cet instant là pour reprendre souffle, s’abriter, être consolé dans cette « pure soie de l’enfance » (p. 72), tout remettre dans l’ordre.
Mais comme l’auteur le constate en repartant dans les Highlands où il fut si heureux, un été de son enfance, avec sa mère aujourd’hui disparue et alors qu’il vit une rupture, on ne peut réellement revenir au vrai lieu de notre enfance car s’il fût, il n’est plus, il ne peut plus exister – et c’est normal, c’est le cours de la vie, cela.
C’est qu’on a grandi et qu’il s’agit, un jour, de cesser de construire le présent uniquement par rapport au passé.
On aura beau revenir en arrière symboliquement en retournant là où on a été heureux et insouciant, quand une mère ou un être cher pansait les bobos ou tenait la main pour ne pas qu’on se perde sur le chemin ou berçait tendrement après qu’on se soit réveillé d’un cauchemar en disant « c’est fini, c’est fini, là… n’aie pas peur » ; on aura beau convoquer toutes les ombres et mêmes les amis des ombres ; on est devenu grand, un jour.
Oui, vraiment, un récit très beau sur ce qui n’est plus.
Oui, toujours regarder au-delà de ce qu’on a perdu.