« Un jardin vous donne un espace physique protégé qui aide à renforcer la perception que l’on a de son espace mental et qui offre du calme, ce qui permet d’entendre ses propres pensées. Plus on s’immerge dans le travail manuel, plus on se sent libre à l’intérieur pour démêler et explorer ses émotions. Aujourd’hui, je me tourne vers le jardinage pour m’apaiser l’esprit et le détendre. Sans que je sache comment, la cacophonie des pensées qui se bousculent dans ma tête se décante et s’atténue au fur et à mesure que mon seau se remplit d’herbes folles. Les idées en sommeil remontent à la surface et parfois des pensées à peine nées prennent forme, de manière inattendue. A de tels moments, j’ai l’impression qu’en me dépensant physiquement, je cultive en même temps mon jardin intérieur. »
Sue Stuart-Smith, L’équilibre du jardinier, Ed. Albin Michel, 2021, p. 22
Bonheur du jour - Page 192
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Jardin intérieur.
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Au-delà ce qu’on a perdu.
Quand arrive une catastrophe dans une vie, on tombe, et c’est normal parce que c’est aussi dans le corps que les émotions se ressentent. Au moment d’un deuil, par exemple ou de l’une de ces morts quotidiennes que nous vivons tous, maladies, séparations, pertes d’emplois, injustices, on ressent comme un trou béant à l’intérieur de soi : tout s’est écroulé, pulvérisé par ce qui vient de se passer, ouvert aux quatre vents ; de même, l’espace autour de ce qui reste de notre corps est vide puisqu’il n’y a plus de main à tenir ni de joues à caresser ni même de voix à entendre ou de cadeau à faire, voire plus rien à faire, on se sent plus rien du tout. On est perdu dans un lieu obscur et on a beau tendre les bras devant soi, on n’arrive pas à toucher quoi que ce soit pour se repérer et on a beau ouvrir le plus grand possible les yeux, on ne voit rien que le noir.
Et puis, c’est la vie qui gagne, comme elle gagne toujours un jour ou l’autre. Le sang n’a pas cessé de circuler, ni le cœur de battre, ni la peau de ressentir et d’ailleurs, justement, on sent le vent à nouveau, on remarque qu’il est doux, presque chaud et même joueur avec quelques mèches de cheveux. C’est la mécanique de la vie. Il faudra du temps pour se relever car la catastrophe a rouillé et les membres et l’âme. Ce sera douloureux. On y arrivera. On y arrive. Toujours. Il faut persévérer. On persévère.
Après, on vit. Autrement. C’est une sorte de résurrection, diraient certains. On n’est plus le même. Rien n’est plus pareil. Certains lieux ou certaines choses n’ont plus le même goût ; peut-être même plus de goût. Mais il y a d’autres lieux, d’autres choses. Revient aussi ce qui a toujours été et sur lequel on s’est toujours appuyé : le risque de vivre pleinement qui, somme toute, est un magnifique paysage avec des creux et des bosses, des pleins et des vides, des déserts et des jungles, des petits chemins et de grandes avenues, des hivers rudes et des étés jouissifs, des plages de sable et de hautes falaises, des petits fossés où coassent des grenouilles et d’impressionnants abîmes vertigineux, des petits rus chantants et des torrents impétueux, des habitudes de toujours et de nouvelles façons de faire totalement imprévues, des arbres isolés au milieu d’un champ ou au bord d’un chemin et des grandes forêts merveilleuses où fleurissent des violettes, des rires et des larmes, des fleurs aussi et des fleurs et des fleurs dans les bois, dans des pots, dans des vases, Mozart qui ne fut jamais la proie du désespoir et Barbara et sa plus belle histoire d’amour et le temps qui ne se rattrape plus, et tous ces gens qui vont et viennent, ceux qu’on a connus, ceux qu’on connait, ceux qu’on connaîtra.
C’est le sens de la vie.
Regarder au-delà.
Au-delà de ce qu’on a perdu.