Dans le très beau livre, oui, vraiment très très beau livre d’Alexis Jenni sur John Muir, J’aurais pu devenir millionnaire, j’ai choisi d’être vagabond, quelques lignes sur la lecture. Durant son enfance et sa jeunesse, John Muir a travaillé dans la ferme de ses parents. D’abord parce qu’il y avait énormément de travail, mais aussi parce que selon les principes de son père, faire son devoir était aussi une façon de faire son salut. Pas de temps pour les loisirs. Pas de temps pour la lecture. Le soir, tout le monde se couchait juste après le repas. Pour arriver à lire, John Muir s’attardait cinq minutes avant qu’on le rappelle à l’ordre. Agacé, son père finit par lui dire qu’il n’avait qu’à se lever plus tôt !
« Chaque soir il lisait ainsi cinq minutes, dix parfois quand on père était distrait et c’était alors comme des vacances, il en tirait un plaisir immense.
Ça, je peux le comprendre. Le temps de lire, toujours se vole, aux devoirs, au sommeil, aux autres : le moment où l’on est seul en silence à parcourir une à une toutes les lignes écrites n’est jamais un temps accordé, mais un temps dérobé, c’est un temps injustifiable, provocant parce que soustrait aux tâches et aux liens. (… )
En s’endormant, il souhaite très fort se réveiller tôt. Quand il ouvre les yeux, il jaillit de son lit, traverse la cuisine glacée, et voit sur le pendule qu’il est une heure du matin. Quelle joie ! Cinq heures de liberté avant que tout le monde se réveille. »
D’où la question du lundi : Pensez-vous vous aussi que le temps de la lecture est un temps dérobé « aux devoirs, au sommeil, aux autres » ?
Alexis Jenni : J’aurais pu devenir millionnaire, j’ai choisi d’être vagabond, p. 62/63, Ed. Paulsen, 2020
aimer lire
-
La question du lundi. De la lecture.
-
Le tableau du jour : Femme lisant.
Entre deux visites dans un lieu où ne peut rester que deux fois une heure, attendre en lisant.
S’installer dans un lieu sans charme dont les murs sont aussi gris que le sol.
Comme la lumière est faible dans ce recoin où on nous a octroyé le droit de rester, approcher de la fenêtre la chaise en plastique, sorte de coquille inconfortable. Approcher aussi le livre des yeux pour mieux y voir.
Surgit alors des souvenirs, ce tableau de Pieter Janssens Elinga : Femme lisant.
Reposer le livre sur ses genoux et fermer les yeux pour regarder, admirer, dans le musée de sa mémoire, ce beau tableau.
La chaise en bois au dossier ajouré et à l’assise en paille ; la coiffe blanche, la veste rouge et la jupe blanche de la liseuse ; le coffre recouvert d’une étoffe sombre ; la coupe à fruits sur le tabouret ; les portraits sur le murs : des aïeux sérieux et travailleurs qui, peut-être, n’aimaient pas lire parce qu’ils pensaient que c’était du temps perdu ; les chaussures laissées en plan, sur le sol, parce que peut-être la jeune femme était pressée de s’installer pour lire, de se débarrasser de sa vie du dehors pour se poser là, tranquille et seule ; la fenêtre à petits carreaux, dont la moitié est fermée par des volets, laissant le jour arriver par la partie supérieure ; dans un coin, d’autres livres attendent peut-être, ou ont-ils déjà été lus mais la liseuse les garde parce qu’elle les aime. Peut-être.
Sortir alors le petit carnet et tenter, bien maladroitement, de dessiner ce tableau.
Puis, au moment où on reprend sa lecture, penser à tous ceux qui lisent en attendant l’heure de la visite ou le réveil de celui qu’on veille et se dire que c’est quand même un beau cadeau de la vie que d’aimer lire.