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Un été avec Giono : Colline.

C’est le premier roman de Giono publié. Un succès immédiat. Le début d’une vie d’écrivain.
Ce n’est pas rien, ça, un premier roman publié. Tout Giono est là déjà : le ciel, la terre, les hommes et les femmes, le travail, la vie et la mort, la nature, le vent, le feu…
Giono est jeune encore quand il écrit ce livre. Une trentaine d’années. Ses parents sont des gens simples ; pauvres mais pas misérables : ils ont chacun un travail, élèvent leur fils, mangent à leur faim, s’habillent convenablement. Il y a quelques livres à la maison car les livres n’ont jamais été considérés comme du superflu ; mais il y en a peu – des essentiels uniquement. Le père de Giono lui faisait la lecture. Dans la famille, on ne fait pas de grandes études. On travaille de ses mains.
Et le jeune homme va écrire des livres. A la main. Il n’aura suivi aucun cours d’écriture…
On peut voir le manuscrit de Colline sur Gallica. Nous vivons une époque formidable grâce à internet, quand internet sert à cela : croître en savoir.
Giono écrit Colline entre mai 1927 et février 1928. Depuis 1911, il travaille à la banque. On a vu qu’il y portait un uniforme bleu. Il n’a aucune responsabilité et n’en veut pas ; son travail répétitif ne lui déplait pas car cela lui laisse l’esprit tranquille. Il est déjà tout à son œuvre – rien ne peut l’en éloigner.
Est-ce qu’il a écrit, un peu, pendant les heures de bureau ? Peut-être parce qu’on voit qu’il a utilisé quelques feuilles à en-tête du Comptoir national d’escompte de Paris ! Certaines de l’agence de Marseille (allait-il parfois travailler à Marseille ?), d’autres de celle de Manosque. On repère même une phrase écrite en travers d’une feuille…. A-t-elle fait irruption, cette phrase, un jour de travail, alors qu’un client complète un bordereau ? Jean le bleu ne cesse jamais d’écrire, que ce soit dans sa tête ou avec sa plume ; les mots coulent comme l’eau claire de la source. Pour ces mots-là, juste une phrase, peut-être y a-t-il eu urgence à les mettre noir sur blanc, sur la feuille là… Ou bien Giono n’a-t-il jamais écrit au bureau, mais, parce que les feuilles c’est cher, en a-t-il pris parfois un peu pour travailler le soir ?
On relit Colline avec dans une main le livre et dans l’autre la souris qui permet d’aller et venir dans la grosse centaine de feuillets présentés recto/verso. Au bout d’un moment les chats, surpris de cette nouvelle pratique de lecture, viennent un à un s’installer pour profiter de ce qu’on est immobile et poursuivre les siestes entamées précédemment. Le plus vieux se met sur les genoux, la place qui lui revient de droit ; le plus jeune sur une partie du clavier ; un troisième sur les journaux qu’on doit passer à la voisine. La quatrième profite de ce que le jardin soit vide pour y régner seule l’espace d’un après-midi.
On lit le manuscrit présenté sur Gallica et on lit le livre, dans l’édition Folio ; en même temps ; on va et on vient entre les mots.
Le titre, au début, c’était La colline. Puis Giono a enlevé l’article. Dans le midi, on dit « aller dans la colline », quand on s’éloigne de la ville pour aller dans les hauteurs. Peut-être quelques exégètes de son œuvre savent pourquoi il a enlevé le « la ».
« Une feuille de tilleul tombe. » C’est sur la page 2 du manuscrit. La page 27 du livre. Page 27, parce qu’il y a une longue préface qu’on n’a pas lue ; on ne lit plus jamais ni les préfaces, ni les postfaces.
On continue le jeu de piste : « Les maisons encadrent une petite place de terre battue, aire commune, et jeu de boules ». Même page. Il a écrit ces mots-là, et il ne les a pas changés. Ni enlevés.
Page 3 : « Le fils Maurras était au service, dans les dragons. » Ah, la suite est changée… On compare. On relit.
« Aujourd’hui, Gondran sort sur la terrasse. Il tient d’une seule main une bouteille et deux verres ; son autre bras serre contre sa poitrine une dourgue pleine d’eau fraîche et qui ruisselle jusque dans son pantalon ». Page 6. Pas de ratures ni de modifications.
Page 15 : « Gondran, interloqué, regarde Janet, puis la descente de lit. Rien : des fleurs rouges et bleues ».
Page 40 : « Justement, Gondran regarde la forme des nuages ».
Page 53 : « Les deux hommes regardent cette joie folle ; leur joie, à eux, est plus ordonnée. Elle est dedans leur cervelle comme une grande fleur de tournesol ». Pas de ratures là non plus.
Page 121 : « Oui, tu te souviens, on était tranquille, il y a quelques mois ; ça allait, le blé se vendait bien, on vivotait à la douce entre la barrique, le saloir et la jarre ».
Page 149, c’est la fin du roman : « Maintenant c’est la nuit. La lumière vient de s’éteindre à la dernière fenêtre. Une grande étoile veille au-dessus de Lure.
De la peau qui tourne au vent de nuit et bourdonne comme un tambour, des larmes de sang noir pleurent dans l’herbe ».
Giono n’avait pas écrit d’abord « la peau qui tourne au vent » ; il y a un verbe barré : tremble… De même, avant d’écrire « des larmes de sang noir pleurent dans l’herbe », il avait écrit : « de larges gouttes de sang noir pleurent dans l’herbe ». En dessous, un trait puis le mot FIN en capitales et les dates : 23 mai 1927 – 13 février 1928. Ca fait neuf mois.
Ce qui compte, ce n’est pas de faire la liste des modifications ou de comparer les versions. C’est de voir. Les mots de Giono écrits par lui-même. Le texte relié sous la forme d’un cahier jaune orangé. Il faisait relier tous ses manuscrits. C’était déjà des livres, puisqu’ils étaient écrits, à l’encre violette ou à l’encre noire. Ecrits à la main. Tout cela respire, tout cela vit. Un manuscrit pour un écrivain, c’est comme un tableau pour un peintre. Mais rien ne vaut de le voir « en vrai ». On se souvient de l’émotion ressentie il y a des années devant un tableau de Van Dongen, au Musée de l’Annonciade à St Tropez : Gitane au balcon. La bague qu’elle porte à un doigt de la main gauche est une minuscule touche de peinture blanche, en relief. On peut la distinguer nettement si on penche la tête. Le peintre a posé la peinture là ; il a fait ce geste personnel, à la fois de travail et de création. C’était ce qui avait fait comprendre toute la nécessité d’aller dans les musées regarder respirer les tableaux et en mesurer l’unicité car un homme en respirant et en travaillant les a créés.
Pour ce manuscrit de Giono, on a les pages sur Gallica. Comme un livre de peinture. C’est déjà bien. On suit les lignes qui peuvent monter ou descendre ; la ponctuation bien souvent aérienne ; l’écriture calme ou pressée ; les ratures. Giono travaille. Giono écrit.
Pourra-t-on un jour regarder ce manuscrit en tête à tête ? Le regard de la lectrice, le regard des mots vivants ?


Commentaires

  • Quand je pense que je ne l'ai jamais lu ...

  • Mais il n'est pas trop tard !

  • GIONO un manque dans ma bibliothèque, comme vous je remédie à cet erreur de lecture, de GIONO je connaissais REGAIN et après ..... Rien.
    Donc à la librairie j'ai vu que REGAIN faisait partie de la trilogie de PAN "Colline, Un de Baumugnes et Regain" je vais passer le mois d'août en compagnie de GIONO et je vous remercie de nous avoir parler de cet ÉCRIVAIN que l'on a tendance à oublier. Dommage c'est si bien écrit.
    Bonne journée à vous Janine

  • Comme je suis heureuse de vous avoir donné envie de relire Giono !

  • j'ai une version lu audio par Jean Chevrier et c'est formidable, je me souviens d'un long voyage en voiture très barbant qui a passé comme une fusée grâce à cette écoute pour un peu j'entendais chanter les cigales

  • Je n'ai aucun livre audio. Il faudrait que j'y pense...

  • J'ai pris le temps de lire correctement ce billet remarquable à tous points de vue.
    Et à moi aussi l'envie m'est venue de lire Giono, qui me fera sans doute paraître bien fades les lectures "de soleil" que j'avais prévues pour cet été.

  • Merci pour votre compliment qui me touche. Bonne lecture de Giono !

  • Je ne sais pas... mais ce que je sais, c'est que j'aime Giono, même si je n'ai pas tout lu de lui.
    Douce journée.

  • Merci beaucoup pour ta visite. Très bon week end.

  • Bonjour, je ne connais pas Giono mais ça semble bien spécial! Bise et bon vendredi tout en douceur!

  • Merci ! Bon week end !

  • En lisant Jean le Bleu je me suis demandé comment ce petit Giono (l'enfant, je veux dire) était devenu écrivain: par quoi avait-il commencé, à quel éditeur il l'avait proposé et avec quel succès...

  • Je crois qu'il a eu un refus avant que Colline soit accepté.

  • Mon cher Colline édité dans le Livre de Poche et acheté en 1970 mais lu quelques années en amont quand j'allais fureter dans les bouquins de mon frère aîné..... Je suis allée sur Gallica voir le manuscrit de Giono c'est émouvant bien sûr et je me suis souvenue qu'il y a quelques années j'écoutais sur France Culture une série d'émissions consacrées à Giono où on l' entendait répondre à son interlocuteur, d'autres personnes parlaient de lui, l'année, le mois je ne me souviens pas, certainement des archives, je vais aller regarder de plus près sur leur site. Bien à vous.

  • Vous avez vu comme le manuscrit est beau ?

  • Lu aussi il y a longtemps ; finalement, j'en ai lu plus que je ne pensais des Giono.

  • Tant mieux ! Quant à moi, je ne sais pas quand j'aurai tout lu, car son oeuvre est vraiment abondante.
    Bon week end!

  • Giono a accompagné mes premiers émois littéraires, j'ai dû lire et relire Regain, Colline, et d'autres il y a si longtemps... Cet été avec Giono (et autres bonheurs savoureux) dont vous parlez avec tant de sensibilité, de douceur provençale depuis quelques billets (que je ne peux commenter en semaine d'où je suis) m'ont donné l'envie folle de le relire mais je ne le trouve pas, je vais chercher, j'aimerais l'acheter en librairie... Merci pour cet élan que vous nous insufflez quand on perd un peu de notre souffle...

  • Vous pouvez les commander à la libraire Le petit pois, de Manosque ? La libraire est charmante.

  • Votre billet est magnifique et si intéressant. Comparer et se demander le pourquoi des changements, variations, un travail-plaisir, vraiment. merci!

  • Je suis heureuse que ce texte vous ait plu.
    A très bientôt.

  • J'ai acheté "que ma joie demeure", . je termine le beau livre de Toni Morrison "Love" et m'y plongerai bientôt

  • Bonne lecture !

  • Bonjour,

    Merci pour ta publication. Après l'avoir lu, je me suis "rué" vers la bibliothèque numérique pour le lire. Il faut dire que les manuscrits autographes sont plutôt rares. Ce fut un plaisir.

    Bisous

  • J'en suis ravie.

  • C'est un auteur que je connais mal également !

  • Donc, à découvrir ?

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