Poursuivre la lecture d’Outre-terre, de Jean-Paul Kauffmann. On en est à la page 301.
On lit lentement. De plus en plus lentement. Non seulement on relit des passages du Colonel Chabert, mais on refeuillette Balzac, tant qu’à faire, installée sur la chaise basse du bureau prêtée par un chat roux qui se sent, de ce fait, obligé de se lover sur l’imprimante ce qui, en temps normal, est strictement interdit. On fait des listes de livres qu’on voudrait lire ; ceux de Jean-Paul Kauffmann, et toutes les biographies sur Napoléon qu’il cite dans son livre ; on pourrait relire Stendhal, aussi.
On est restée des heures sur la page 244. L’auteur cite Chrétien de Troyes : « Je cherche ce que je ne puis trouver ». Plusieurs jours sur la page 274 dans laquelle il parle d’Italo Calvino et de l’invisibilité d’un auteur. Un long moment sur la citation de Jean de la Croix, tout en haut de la page 275 : « Il faut aller des choses visibles et qui n’existent pas aux choses invisibles et qui existent ». On a fait une station d’une semaine sur les pages 277 et 278, de « L’inauguration de la statue de Kant » jusqu’à « sous un autre nom ».
Ces quelques lignes sur le souvenir et sur le passé sont admirables et elles parlent fort à notre cœur blessé. On avait besoin de les lire et elles sont venues jusqu’à nous. Quelle merveille, la littérature, n’est-ce pas ? On a compris très vite, enfant, que les mots sont vivants et qu’ils vont et viennent entre les gens, serviteurs du sens. Un auteur a des mots, et il les offre à qui en a besoin : c’est un don. Là, on n’a pas appris quelque chose, on le savait déjà ; on n’a pas été aidée pour comprendre, non, on avait déjà compris ; on a simplement lu des mots à propos des souvenirs et du passé, qui confirment ce qu’on pense, qui solidifient des choix de vie : redisons-le encore une fois, la littérature, c’est merveilleux, car on n’y est jamais seul.
« Se souvenir ne consiste pas à battre le rappel incessant du passé, mais à éliminer, en tout cas à opérer un choix, pour que la trace affective soit plus nette ».
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« On en revient toujours à la femme de Loth. Ne pas regarder en arrière. Oui, le passé n’existe que dans le souvenir, il ne se ranimera pas, il fera bien mieux : il réapparaîtra métamorphosé, sous un autre nom. »
« Peut-être le plus grand amour réside-t-il en cela : pouvoir aimer sans posséder »
LIRE / Livres du matin, du sac à main, du soir - Page 60
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Passer la soirée avec Jean-Paul Kauffmann, en Outre-terre.
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Passer la soirée avec Jean-Paul, Napoléon et ses soldats.
Continuer à passer la soirée avec Outre-terre, de Jean-Paul Kauffmann.
On avance bien dans la lecture : on en est à la page 225, déjà. On lit lentement parce que même pour la lecture, on aimerait ne plus se presser.
« Les Anciens pensait qu’il suffisait qu’on évoquât leurs noms pour que les morts reprennent vie » (p. 222). Jean-Paul Kauffmann parle longuement des soldats de Napoléon, qu’il nomme les « sans traces ». Quelqu’un, semble-t-il, a fait un dictionnaire de ses soldats, en a fait la liste. Pourtant, aujourd’hui qui lit leurs noms ? Ils ont eu un corps, une âme, une famille. Interrogé intensément par les thèmes de la disparition, de l’absence, du retour à la vie, de l’avant, de l’après, du maintenant, l’auteur cite Emmanuel Levinas : « (il) parle de la luisance de la trace ». C’est une belle expression, qui incite à un arrêt supplémentaire dans la lecture de ce livre, pour réfléchir encore. Les chats, endormis sur les journaux, sont d’accord, on le sait bien, pour ce moment d’arrêt et de silence.