Terminer Outre-terre, de Jean-Paul Kauffmann.
On savait bien qu’il n’irait pas dans la chapelle. Ce n’était d’ailleurs pas le but puisque ce qu’il fallait faire, c’était chercher : mais comment donc entrer dans cette chapelle ? Est-ce possible ? Pourquoi cela serait-il impossible ? Faut-il contourner l’obstacle, entrer par effraction, ou bien sonner à la porte ? On comprend l’obstination à vouloir regarder le champ de bataille du haut du clocher car un élément supplémentaire, définitif peut-être, pourrait surgir et permettre d’avoir un semblant de réponse. L’auteur n’a pas pu obtenir ce qu’il voulait, mais il a eu une autre réponse, sur un autre sujet.
Napoléon semble avoir gagné la bataille d’Eylau ; mais il n’en est pas convaincu.
Les Russes affirment avoir gagné la bataille d’Eylau mais ils sont les seuls à le croire.
Gagner. Gain. Gagnant. Réussir. Réussite. Victoire. Victorieux. Triomphe. Triomphant.
Et par la suite, perte, abandon, blessure et mort.
Et par extension, vie, vivant, survivant, revivre.
Et donc, avant et maintenant.
Outre-terre, c’est un livre qui fait réfléchir, encore et encore, sur ce que c’est que de gagner.
Si je suis passé de l’échec à la victoire, qu’ai-je vraiment gagné ? Qu’est-ce qu’il m’a fallu perdre pour gagner ? De combien de petites morts mon chemin est-il marqué ? Suis-je celui ou celle que j’étais avant, quand j’étais vaincu ? Et maintenant que je suis vainqueur, sur qui ou sur quoi ai-je gagné ? Peut-on regagner, d’ailleurs, ce qu’on a perdu ? Et si c’est le cas, ce que je retrouve m’est-il autant nécessaire qu’au temps d’avant, surtout que ce regain n’est pas ce que j’ai perdu, puisque le temps a passé, que les choses ont changé ?
On ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé.
Mais ce qui s’est passé était hier : aujourd’hui est un nouveau jour.
bataille d'eylau
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Passer une dernière soirée avec Jean-Paul Kauffmann et les soldats de Napoléon.
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Passer la soirée avec Jean-Paul, Napoléon et ses soldats.
Continuer à passer la soirée avec Outre-terre, de Jean-Paul Kauffmann.
On avance bien dans la lecture : on en est à la page 225, déjà. On lit lentement parce que même pour la lecture, on aimerait ne plus se presser.
« Les Anciens pensait qu’il suffisait qu’on évoquât leurs noms pour que les morts reprennent vie » (p. 222). Jean-Paul Kauffmann parle longuement des soldats de Napoléon, qu’il nomme les « sans traces ». Quelqu’un, semble-t-il, a fait un dictionnaire de ses soldats, en a fait la liste. Pourtant, aujourd’hui qui lit leurs noms ? Ils ont eu un corps, une âme, une famille. Interrogé intensément par les thèmes de la disparition, de l’absence, du retour à la vie, de l’avant, de l’après, du maintenant, l’auteur cite Emmanuel Levinas : « (il) parle de la luisance de la trace ». C’est une belle expression, qui incite à un arrêt supplémentaire dans la lecture de ce livre, pour réfléchir encore. Les chats, endormis sur les journaux, sont d’accord, on le sait bien, pour ce moment d’arrêt et de silence.