En ce début de juin, partout des fleurs. Certaines somptueuses comme les roses. D’autres, plus discrètes, plus banales, comme la multitude de pâquerettes et de pissenlits sans oublier les liserons d’un si doux violine clair et les incomparables coquelicots. Ils ont poussé sur la pelouse du parc, sur le bord de la route, dans un coin du jardin. Personne ne les arrose. A priori, personne ne les a plantés non plus, mais pourtant ils sont là et semblent tout tranquilles.
C’est un peu comme la vie à laquelle j’aspire désormais : une vie simple que d’aucuns considéreraient comme « déclassée », si je reprends le mot de Charles Wright dans sa dernière interview ; une vie qui existe, constituée de petites choses mais située dans un grand espace, celui de la vie même.
En juin, regarder de petites fleurs, faire de petites choses simples et anonymes, écrire des petits mots. Se bonifier de l’instant. Ne plus rien, mais alors plus rien avoir à prouver. Simplement aimer. Comme ces fleurs qui aiment bien qu'on leur sourit quand on les croise.
MEDITER / Phrases à méditer - Page 26
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Pistes pour le mois de juin. Petits mots, petites choses.
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Au-delà ce qu’on a perdu.
Quand arrive une catastrophe dans une vie, on tombe, et c’est normal parce que c’est aussi dans le corps que les émotions se ressentent. Au moment d’un deuil, par exemple ou de l’une de ces morts quotidiennes que nous vivons tous, maladies, séparations, pertes d’emplois, injustices, on ressent comme un trou béant à l’intérieur de soi : tout s’est écroulé, pulvérisé par ce qui vient de se passer, ouvert aux quatre vents ; de même, l’espace autour de ce qui reste de notre corps est vide puisqu’il n’y a plus de main à tenir ni de joues à caresser ni même de voix à entendre ou de cadeau à faire, voire plus rien à faire, on se sent plus rien du tout. On est perdu dans un lieu obscur et on a beau tendre les bras devant soi, on n’arrive pas à toucher quoi que ce soit pour se repérer et on a beau ouvrir le plus grand possible les yeux, on ne voit rien que le noir.
Et puis, c’est la vie qui gagne, comme elle gagne toujours un jour ou l’autre. Le sang n’a pas cessé de circuler, ni le cœur de battre, ni la peau de ressentir et d’ailleurs, justement, on sent le vent à nouveau, on remarque qu’il est doux, presque chaud et même joueur avec quelques mèches de cheveux. C’est la mécanique de la vie. Il faudra du temps pour se relever car la catastrophe a rouillé et les membres et l’âme. Ce sera douloureux. On y arrivera. On y arrive. Toujours. Il faut persévérer. On persévère.
Après, on vit. Autrement. C’est une sorte de résurrection, diraient certains. On n’est plus le même. Rien n’est plus pareil. Certains lieux ou certaines choses n’ont plus le même goût ; peut-être même plus de goût. Mais il y a d’autres lieux, d’autres choses. Revient aussi ce qui a toujours été et sur lequel on s’est toujours appuyé : le risque de vivre pleinement qui, somme toute, est un magnifique paysage avec des creux et des bosses, des pleins et des vides, des déserts et des jungles, des petits chemins et de grandes avenues, des hivers rudes et des étés jouissifs, des plages de sable et de hautes falaises, des petits fossés où coassent des grenouilles et d’impressionnants abîmes vertigineux, des petits rus chantants et des torrents impétueux, des habitudes de toujours et de nouvelles façons de faire totalement imprévues, des arbres isolés au milieu d’un champ ou au bord d’un chemin et des grandes forêts merveilleuses où fleurissent des violettes, des rires et des larmes, des fleurs aussi et des fleurs et des fleurs dans les bois, dans des pots, dans des vases, Mozart qui ne fut jamais la proie du désespoir et Barbara et sa plus belle histoire d’amour et le temps qui ne se rattrape plus, et tous ces gens qui vont et viennent, ceux qu’on a connus, ceux qu’on connait, ceux qu’on connaîtra.
C’est le sens de la vie.
Regarder au-delà.
Au-delà de ce qu’on a perdu.