Le paysage est aride autant que somptueux. C’est ou blanc ou vert. Les hauteurs pierreuses d’un blanc parfois presque pur, finement découpées par l’érosion, semblent avoir été un jour des vagues pétrifiées au moment de leur éclatement, comme la femme de Loth le fut quand elle s’est retournée. Les sentiers d’éboulis ajoutent leur propre teinte de blanc légèrement grisé. Même la mer en ce jour de temps couvert est vite enfouie dans une brume blanche jusqu’à son horizon informe. Des myrtes aux fruits encore verts, des épineux de toute sorte, quelques pins le plus souvent rabougris.
Ce paysage est admirable. On s’y sent tout petit. On s’y sent bien. C’est un bel écrin et, pourquoi, on ne sait pas, on se récite le Dormeur du Val de Rimbaud : C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil de la montagne fière luit …
On pense à cet instant qu’on laisserait volontiers ici ses propres cendres car elles y seraient en paix. On regarde un peu partout, comme on visiterait une maison qu’on pourrait faire sienne. Bouche ouverte, tête nue…
La lumière pleut…
Quand tout à coup, au détour d’une trace, il y a deux fleurs bleues. Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu.
Elles sont petites, mais si droites, se poussant du col comme pour se grandir. Elles ressemblent à des fleurs de lin car leur bleu est intense. Sans l’être autant que celui de la bourrache ou du bleuet, il en impose dans le décor de pierres blanches.
On est empêché de les cueillir pour les glisser dans les pages du petit carnet, car elles sont magnifiquement vivantes, ces deux petites fleurs à la tige blanche elle aussi. Elles nous regardent et nous disent : Regarde ce que la volonté peut faire au milieu de toutes ces pierres. Elles ne doutent de rien, les mignonnes.
Alors, on se tient droite, on se pousse du col pour se grandir, on range dans un des tiroirs de la mémoire vive cette image des deux fleurs plus fortes que la pierre et le pas devient si léger que l’éboulis ne l’emporte pas.
rimbaud - Page 3
-
Vers Callelongue.
-
17 octobre 2012. Passer la soirée avec Thierry Beinstingel.
Passer la soirée avec Thierry Beistingel et son roman Ils désertent et se souvenir d’une époque désormais révolue.
Puis, dans la nuit épaisse et bourdonnante de silence, se réciter le début du Bateau Ivre :
Comme je descendais les fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guidé par des hâleurs
Des peaux-rouges criards les avaient pris pour cible
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs
J’étais insoucieux de tous les équipages
Porteurs de blés flamands ou de cotons anglais
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les fleuves m’ont laissé descendre où je voulais