Lettre d’Albert Camus à Monsieur Germain, son instituteur, en date du 19 novembre 1957, après qu’il ait reçu le Prix Nobel de Littérature.
Cher Monsieur Germain,
J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur, mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève.
Je vous embrasse, de toutes mes forces.
Albert Camus
MOISSONNER / Bonheur du jour quotidien - Page 74
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Humanités.
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Commencer ou poursuivre.
La vigne vierge commence à bien s’étaler sur le mur blanc et à enrouler le porche.
Elle connaît intimement le cours du temps : elle a pris ses couleurs d’automne, ce rouge de la vigne à nul autre pareil. Quand on regarde ses feuilles de très près, on peut suivre du regard les nervures boursouflées de cette sève qui, préservée dans un ailleurs hivernal, fécondera les prochains bourgeons.
Les plantes ont un élan vital ; puisons à leur force.
Elles suivent leur chemin et deviennent ce qui leur est offert d’être ; par moments elles ploient sous le vent ou sous le gel ou sous la pluie ; par moments elles sont à terre ; par moments elles disparaissent ; par moments, elles renaissent.
Les belles-de-nuit ne sont-elles pas en train de disperser à tout va leurs graines en leur confiant les teintes qu’elles auront à déployer l’été prochain ou l'été suivant s'il leur faut plus de temps ?
« C’est ici mon chant qui commence (1)», disait Virgile.
Chaque jour, commencer la suite d’un chant.
(1) Virgile : Le souci de la terre, nouvelle traduction des Géorgiques par Frédéric Boyer, Ed. Gallimard, 2019