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MOISSONNER / Bonheur du jour quotidien - Page 94

  • Recevoir / Donner.

    Il est bon d’aller dans la forêt et d’en revenir avec les cadeaux qu’elle offre : paysages, couleurs, senteurs, chants d’oiseaux. Quand on peut, aussi, croquer quelques arbouses bien mûres, remplir le sac de mousse et de lichens pour la crèche, de branches de houx et de lentisques pour les couronnes de l’Avent et de Noël, de pommes de pin pour jouer à les peindre avec les enfants, la joie s’accroît. Si, en plus de tout cela, la cueillette des champignons est abondante, la joie se gonfle encore car on puise là, dans cette nature, de quoi se nourrir. Mais quand on peut donner ce qu’on ramasse et penser à celui ou à celle à qui on donnera, alors on entre dans un équilibre bienfaisant : recevoir / donner.
    Ainsi des champignons ramassés vers l’Issemble qu’on amène à celui qui fut un grand marcheur des bois, un fin cueilleur de champignons, un connaisseur de sentiers improbables dans les bois touffus. On lui dit : « Tiens, regarde, je t’ai ramené ça de la forêt. » Il arrive en faisant rouler son fauteuil, tend sa main à la peau tannée et qui tremble déjà un peu. Il s’exclame malgré tout : « Oh ! des sanguins ! ah, ils sont beaux ! Oh, mais dis donc, c’est des girolles, ça… Elles sont magnifiques ! Des ceps, tu as trouvé des ceps… des petits, ah, et là un gros, oh la la, on va se régaler ! Et des rouges aussi ! Oh, et ces coulemelles, ah, c’est la bonne taille pour les coulemelles… Ah, merci. » Les yeux brillent, de plaisir ou de larmes retenues, on ne le saura pas vraiment car ici on reste toujours très pudique sur ses sentiments. Il continue un bon moment à prendre entre ses doigts les champignons qu’il étale sur la toile cirée de la table de la cuisine. « Ça sent bon. » Il se met à parler de la forêt. On lui précise bien où on est allé et il se souvient de cet endroit : « On voit bien le Coudon de là, hein ? et il y a des arbousiers magnifiques. J’aimais bien aussi aller aux Mayons. J’ai toujours trouvé abondance de safranés là-bas. » Puis, il ajoute : « Allez, garrí, on va les nettoyer ces champignons. Tu restes à manger, hein ? »

  • Les petites feuilles d’érables.

    Tout autour du Gapeau que les dernières pluies ont transformé en torrent, la forêt est puissamment humide, trop abreuvée même par ces flots venus d’un ciel en rage pour qu’elle puisse tout absorber. Ainsi, certains chemins gardent en leur travers des mares boueuses où le pied s’enfonce jusqu’à la cheville. Mais on sent la bonne odeur de la terre mouillée et de l’humus épais. Mais on voit les lichens lumineusement vert clair s’affichant fièrement sur les écorces noires. Mais on foule sur le sentier un tapis de feuilles de charmes, jaune et doux pour le pas puis, encore plus loin, c’est sur les feuilles d’érables qu’on avance. Les plus petites d’entre elles sont de l’érable de Montpellier.
    On en prend une pour la mettre dans le carnet noir, près d’une feuille de charme ramassée tout à l’heure. Leur petitesse est attendrissante mais elle n’enlève rien à la puissance de leur clarté dans ce sous-bois touffu que le jour gris assombrit encore plus. Ce qui est petit est toujours attendrissant, mais ce sont bien elles, ces feuilles minuscules jaunes comme l’or, que l’on remarque le plus, que ce soit au sol ou encore sur les branches désordonnées de l’arbre. En la tenant par son pétiole, on la trouve aussi bien fragile. On pense à comment elle fut arrachée de sa branche par la tempête, comment elle tournoya violemment pour être précipitée à terre, et qu’on la retrouve, là. Sans doute ses trois lobes réguliers l’ont-ils aidée dans son vol, freinant la chute, telles des élytres dont elles ont presque la transparence.
    On voudrait passer le gué comme on l’a prévu, mais il n’en a plus que le nom : l’eau dévale abondamment sur toutes les pierres. On choisit de changer de circuit pour aller plus haut en suivant des chemins creusés en leur mitan par une eau cavaleuse. Mais avant, on regarde la jolie prêle dont on sait les bienfaits. On est bien en hauteur de la colline quand le mistral se lève. Au détour de la piste, au loin les montagnes enneigées. On les contemple. On prend le temps de se poser sur quelques pierres, de rester tranquille en grignotant deux ou trois arbouses rouges, de regarder tout autour et de sentir les odeurs de la forêt. Quand on redescendra vers le fleuve, on ramassera des branches de houx qu’on a vues joncher le sol. On les utilisera pour les prochaines couronnes de l’Avent et de Noël, même si on se piquera un peu les doigts !