Ici, quand on dit : « je monte à la Grotte », nul besoin de préciser de quoi il s’agit. Disons pourtant ce qu’il en est : il s’agit de la chapelle dédiée à Ste Marie Madeleine installée dans la grotte sur le chemin qui monte au sommet de la Sainte Baume. Pour l’atteindre, il faut marcher et, donc, monter. En partant de l’hôtellerie, on suit la sente forestière dont l’ombre se rafraîchit au fur et à mesure qu’on approche de la haute roche grise verticale. En pleine région méditerranéenne, on est au milieu de feuillus, des hêtres principalement, de houx, d’ifs, de lierre envahissant et de fleurs dont la plupart, allez savoir pourquoi, sont bleues. On est dans une forêt fossile. Les couleurs dominantes sont le vert et le marron des arbres, le mauve des fleurs, le gris foncé des pierres et de l’ombre. De part et d’autre du sentier, les violettes s’affichent en coussins : en voici un, puis un autre, et encore un autre ! C’est touchant de voir ces fleurs ayant poussé si rapprochées les unes des autres. La violette n’aime peut-être pas la solitude ? Pour sentir leur parfum, il est nécessaire de s’agenouiller puisque leur tige est courte et ne dépasse que de très peu le tapis de feuilles. Elles sont innombrables et font pétiller les yeux de joie à leur façon de s’incliner vers la terre d’un air coquin tout en pointant leurs pétales pour ne rien perdre de ce qui se passe. Innombrables, oui, ce ne sont pourtant pas les plus nombreuses sur le chemin de la Grotte : partout, les sereines anémones bleues dont le nom savant est hépatica triloba foisonnent et colorent le sol de leur jolie teinte lavande. Triloba car leurs feuilles ont chacune trois lobes. On fouille dans l’épaisseur de feuilles mortes qui deviendront de l’humus dans longtemps pour en sortir quelques feuilles et compter les lobes en les suivant du doigt : un, deux, trois. La fleur, elle, a six pétales. De nombreuses étamines blanches tranchent sur la belle corolle bleue ; ce blanc guidera bien les insectes vers le pistil. On laisse les fleurs, bien sûr. Pas question d’en cueillir. Pourtant, au retour, quand on aura longé la crête dans une garrigue blanche embaumant la thym et qu’on sera redescendu par la forêt, on trouvera au milieu du chemin deux fleurs qui ont été cueillies et jetées par terre. Déjà flétries, on les prendra pour les mettre dans le petit carnet noir.
Bonheur du jour - Page 563
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Liste de contemplation : Hépatica triloba
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La question du lundi : dire bonjour.
C’est quand on a commencé à marcher en montagne, en Haute Savoie, qu’on a appris à dire bonjour à ceux qu’on croisait. Un vieux montagnard, qui conseillait sans cesse de marcher d’un pas lent et régulier, allait même plus loin : s’il rencontrait d’autres marcheurs dans des endroits reculés et très hauts, il ne disait pas seulement bonjour mais demandait comment ça allait, disait où il allait lui-même, d’où il venait, et les autres faisaient de même. On ne se croisait pas seulement : on s’arrêtait pour se parler.
Cette habitude de dire bonjour a perduré : la plupart des randonneurs le font quand ils croisent d’autres randonneurs. Pourtant, il arrive que le bonjour reste sans réponse, suspendu dans l’air ; à ce moment-là, on n’a même pas pu croiser le moindre regard. Comme c’est dommage.
On a gardé l’habitude du bonjour quand on entre dans un magasin, quand on arrive dans une salle d’attente, quand on monte sur le bateau en s’adressant au batelier, …
Et vous, dites-vous bonjour sans compter ?