Quand la vie nous amène là où on n’avait pas prévu d’aller, si on est bien attentif à ce qui se passe dans ce lieu nouveau et improbable, on se rend compte qu’il n’y a pas de hasard car on reçoit quelque chose. Un petit rien, ou beaucoup, peu importe : c’était ce dont on avait besoin.
Ainsi, dimanche, pour rendre service, on a accompagné quelqu’un à un repas d’anciens ; certains avaient combattu sur les mers, d’autres avaient été mari, femme, fils, fille, frère d’autres combattants disparus maintenant.
On a déjeuné. Très bien. On a parlé. Beaucoup. On a dansé. Un peu. On a chanté. Beaucoup aussi. Des chansons « d’avant » dont les interprètes s’appliquaient à rouler les « r » et à articuler impeccablement les paroles. Celles-ci, on ne s’en souvenait pas toujours, alors on fredonnait, on chantait quelques mots qui revenaient brusquement en mémoire, on reprenait le refrain d’une voix plus assurée. Parfois, cette voix s’étranglait. L’émotion.
Ces textes sont venus par-delà les mers et les limbes comme une ancre qui plonge jusqu’au tréfonds des eaux et permet de ne pas se laisser emporter, deçà delà, au vent mauvais, pareil à une feuille morte.
…Ton image est la plus forte…
…Quand reviendra l’hirondelle...
…J’attendrai …
…J’attendrai le jour et la nuit / J’attendrai toujours ton retour…
…Je crois entendre ton pas…
…J’écoute en vain…
…Plus rien ne vient…
…C’est aujourd’hui dimanche…
…Elle aimait les fleurs / Les roses surtout…
…Voici des roses blanches / Toi qui les aimes tant…
…Tu n’as plus de Maman…
…Et quand tu t’en iras / au grand jardin là-bas / ces belles roses blanches tu les emporteras…
Bonheur du jour - Page 573
-
La musique de la semaine : … Tu les emporteras.
-
Phrase à méditer.
Dans son livre, La sagesse espiègle, Alexandre Jollien parle de la « machine à mouron » (pp. 73 et 75).
Le mouron ! On n’avait plus entendu cette expression depuis bien longtemps. Se faire du mouron, se faire des cheveux blancs, se faire du mauvais sang…
Voici une phrase qui incite à la méditation :« La machine à mouron a une mémoire d’éléphant. Elle engrange tout et ne manque pas une occasion de nous resservir l’écho lointain des anciens traumatismes, des blessures mal cicatrisées, ce qui est resté coincé en travers de la gorge. » (p. 75)
L’expression est juste, pertinente, fulgurante même : quand, tout à coup, ça y est, la rumination commence et que, malgré tous nos efforts, rien n’y fait et ça revient, ça revient, ça revient…
Mais on s’en souviendra et on s’en servira les jours gris. On dira : « Hé, la machine à mouron ! Arrête un peu ! » Merci Alexandre.