Aujourd’hui, l’impression que le temps passe plus vite qu’avant est général. Les journées s’écoulent au gré de sollicitations innombrables, et même les nuits sont bruyantes, organisées pour qu’on y voit comme en plein jour, surtout dans les villes où vivent désormais la majorité des êtres humains. On est toujours en alerte pour ne pas rater quelque chose, et les téléphones bipent constamment : c’est l’heure de ci, c’est l’heure de ça. Finalement, on ne reste plus longtemps dans une activité, et on passe de l’une à l’autre, sans même se rendre compte qu’on perd notre capacité à se concentrer.
C’est une phrase de Marie Noël qui nous a fait penser à cela :
« Tout mon temps est émietté comme du pain aux oiseaux. Je n’ai jamais su le défendre ».
On fera en sorte que le temps de cette journée ne soit pas émietté en un fractionnement d’activités et qu’on ne puisse dire, le soir venu : « Aujourd’hui, j’ai fait ça, et ça, et ça…. » mais plutôt : « Aujourd’hui, j’ai réfléchi…. » ou « Aujourd’hui, j’ai écouté… » ou « Aujourd’hui, j’ai contemplé… » ou « Aujourd’hui, j’ai tenu une main… ».
Ressentez-vous cet émiettement du temps ? Arrivez-vous à rassembler les miettes ?
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L’antan : le café.
Alors qu’on est invité à dîner chez des amis et qu’on sait qu’ils boivent plus souvent maintenant du café décaféiné, on leur en apporte d’un fournisseur de qualité et on leur précise qu’il a été décaféiné à la vapeur. Le cadeau est apprécié et, en fin de repas, on le goûte pour le plaisir de chacun. Son goût est doux comme un biscuit qu’on y aurait trempé.
Mais le goût est riche de son histoire, et il rappelle, tout à trac, le café de l’antan.
Ce café était cher ; mais parce qu’on était très pauvre. C’était une denrée qu’on a cru longtemps être rare ; on l’utilisait avec parcimonie ; on l’achetait dans de gros paquets ; un gros paquet même, peut-être en début de mois. Même quand on se fut habitué au café moulu dans des paquets de 250 grammes, aux filtres et à la cafetière électrique, on continuait à dire que c’était bien cher, le café, et qu’il ne fallait pas le gâcher. On pouvait entendre cela : « Je viens de faire du café, il est tout frais. Tu en veux ? » Le café tout frais, c’était comme une fête. Quand il en restait, on le réchauffait dans la petite casserole en zinc dédiée à cet effet, celle dont le manche en bois roulait sur lui-même et qu’on prenait avec précaution, parfois avec un chiffon plié en huit pour ne pas se brûler en touchant le métal du bout du manche. Jeter le café qui restait pour en refaire d’autre, voilà ce qui était une hérésie ; laisser au fond de sa tasse quelques gorgées de café, voilà ce qui signalait combien on était désinvolte par rapport à la dureté de la vie. Le plus souvent, on faisait le café le matin pour que celui qui soit rentrait de l’usine soit y partait puisse se réconforter. Dans la journée, on buvait ce qui restait et quand il n’y en avait plus, et bien, on attendait.
Et, quand, chez les amis à qui on avait apporté le décaféiné, on s’était vu proposer à nouveau une tasse, on s’est encore étonné de ce que dans ce monde il semble qu’on puisse être approvisionné de tout, tout le temps.