Parce que c’est dimanche matin, on s’occupe de la maison : on aère, on balaie, on range les papiers qui traînent. On sort la nappe blanche qui est un peu froissée. On prépare la cuisine aussi. Mais cela tombe au moment où l’émission Musique Emoi commence. L’invité est Christophe André. On met plus fort, pour ne rien perdre et on prend deux décisions importantes : on ne passera pas l’aspirateur et on va préparer des macaronis au gratin plutôt qu’un gratin dauphinois puisque les pâtes ont l’avantage de ne pas avoir à être pelées ni coupées.
On pèle quand même les asperges et on les met à cuire. On nettoie la mâche. On prépare la vinaigrette. Le poulet crépite maintenant dans le four et il est temps de repasser, activité particulièrement propice à l’écoute de la radio. On repasse consciencieusement, en s’arrêtant encore et encore pour écouter la radio, le revers du drap plat et les bordures en dentelle des taies d’oreillers car le lit est en train de s’aérer et il va falloir le faire. On va pour prendre la nappe quand Bach, déjà très présent dans l’émission, s’impose avec le Concerto Brandebourgeois n°3. On a tenu jusque-là dans la succession des tâches, mais le fer se transforme alors en baguette de chef d’orchestre et on fait quelques pas de danse autour de la planche à repasser. Quand viendra le moment d’écouter Marias Callas dans le fameux air de la Norma, on n’hésitera pas à chanter en même temps, faisant fi des fenêtres ouvertes.
Avec tout ça, on a pris du retard, mais tant pis. On expliquera aux invités qu’on a dansé et chanté puisqu’on est devenu cigale.
MOISSONNER / Bonheur du jour quotidien - Page 176
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La cigale du dimanche matin.
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Pouvoir.
Une jeune femme est là tout près au moment où on rentre. On sent chez elle beaucoup d’angoisse. On s’approche pour lui dire bonsoir et on lui sourit. Elle répond et raconte son week end. On lui fait remarquer alors qu’il n’a pas commencé ! Mais elle est sûre que cela se passera ainsi, tel qu’elle le prédit, elle en a tellement vécu d’autres, tout aussi semblables. On la rassure. On est prête à prendre le temps de parler, mais elle, non. On la laisse rentrer chez elle.
On repense au temps où tout était compliqué dans ce qu’il y avait à vivre, tout était conflit et tension dans un monde d’obligations stériles. On n’avait pas encore mis un terme à des relations tyranniques et on donnait beaucoup de pouvoir à certaines personnes qu’on laissait, consciemment ou non, influer sur notre vie. On faisait tout pour être irréprochable : on était toujours à l’heure, on honorait tous les engagements, on avait une maison bien tenue, on faisait bien la cuisine, etc. Et on acceptait tous les reproches car on avait le sentiment, diffus, sournois, destructeur, de ne jamais pouvoir être à la hauteur. Jusqu’au jour où on a repris la main sur sa vie.
On repassera voir la jeune femme à qui on aimerait dire qu’on n’est pas obligé de se jeter dans la gueule du loup.