Avec les chrysanthèmes traditionnels, on a apporté aussi l’autre jour au cimetière un cyclamen rose pâle et une bruyère violine, tout particulièrement pour un de ceux posés là dans ce vaste caveau. On l’imagine désormais tranquille, face au ciel lumineux du Midi où il avait choisi de vivre car il n’aimait pas avoir froid. Durant son enfance il eut lui aussi près de lui ces deux plantes dont les teintes sont proches, de la même famille pourrait-on dire puisqu’il s’agit bien d’une histoire de famille ; et il avait gardé adulte l’habitude d’en avoir aussi chez lui. La bruyère, c’était la grand-mère qui en raffolait et ne passait jamais sans la mauvaise saison. Elle portait d’ailleurs bien souvent des vêtements de ce violine rosé qui n’avait rien de triste ni de vieux mais qui était doux au point d’en avoir même sur les pages des catalogues le parfum de sa peau douce. Le cyclamen, rose clair, quasi rose layette, c’était la mère qui s’en procurait un dès qu’ils apparaissaient aux étals des fleuristes, trouvant toujours les pièces pour lui dans le porte-monnaie efflanqué. On les a posés de part et d’autre de la tombe dans les vasques en pierre dont on a toujours pensé qu’elles avaient été installées pour eux quand c’est l’automne.
SE SOUVENIR / L'antan - Page 5
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Le cyclamen rose et la bruyère violine.
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Le pain dans le lait chaud.
Dans toutes les familles, il y a des traditions pour certains dîners. Le dimanche soir, par exemple, on mange froid, ou les restes, ou des croque-monsieur… Quand on était enfant, il y avait une tradition dont on n’avait pas compris qu’elle revenait plutôt à la fin du mois, d’autant qu’elle était synonyme de fête : au lieu de dîner, on prenait un petit-déjeuner. Tout à coup, on décidait de boire un bon chocolat et on mangeait de belles tartines de pain beurrée. Le goût de ce déjeuner du soir était particulier et on disait qu’il était meilleur. Quand il n’y avait pas de chocolat, on avait la recette qu’on continue à préférer entre toutes : au fond du grand bol en faïence, mettre des gros morceaux de pain rassis et deux morceaux de sucre puis verser le lait chaud ; éventuellement, retenir la peau avec une cuillère.
Cuillère après cuillère, on buvait d’abord le lait sur lequel on soufflait pour ne pas se brûler puis quand il n’y en avait presque plus, on arrivait au pain trempé et sucré, et on se régalait.
On a fait cela l’autre soir. On avait besoin de se rappeler de l’antan. La vie était rude alors, et beaucoup de choses se sont améliorées. Mais il y avait plus de simplicité - on arrivait à se nourrir avec quelques produits de base. Et c’est bien, aussi, de se rappeler d’où on vient.