En les voyant à La Criée, on n’a pu résister : des petits pois, les premiers. On en a pris pour refaire certains gestes disparus de celles désormais absentes, car il est bon de s’appuyer sur les bons moments vécus ensemble.
Les premiers petits pois sont toujours parfaitement frais. Leurs cosses sont de ce vert petit pois, justement, qu’on reconnaît parmi tous les verts du printemps. Au regard aussi, on juge si la cosse est bien remplie car si les petits pois étaient trop petits, cela n’irait pas pour le plat à préparer. La bonne taille pour le petit pois, et bien, c’est la taille du petit pois – on se souvient bien de ce genre d’affirmations qui laissaient dubitatives l’enfant qu’on était mais, à l’époque, on ne prenait pas trop de gants avec les enfants à qui on disait souvent « c’est comme ça ».
En rentrant, ranger rapidement les courses et se mettre au plus vite à écosser les petits pois en suivant les règles habituelles : étaler une feuille de journal sur laquelle on laissera les cosses vides, prendre le petit saladier dédié à l’écossage des petits pois pour y déposer les dits petits pois. Ne pas oublier d’avoir sur la table, pour que le souvenir soit entier, une toile cirée, à carreaux par exemple, ou avec un motif provençal jaune et lavande. Sortir le reste de laitue de la veille emballé dans un torchon humide et l’étaler sur la table, le beurre, et les petits lardons qu’on a fait couper le matin même par le boucher (on y est passé puisqu’il y avait les premiers petits pois chez le primeur) ainsi que des petits oignons pris dans la caisse où sont pêle-mêle oignons, aulx et échalotes. Eplucher les petits oignons. Dans la casserole, faire fondre une noix de beurre, rissoler les lardons et les petits oignons (prononcer ou-a-gnon) et quand ceux-ci ont pris la bonne couleur, verser les petits pois et les feuilles de laitue. Recouvrir, mais à peine, de bouillon de légumes (fait maison, évidemment). Saler et poivrer. Laisser cuire à peu près vingt minutes, à petit feu. Servir les petits pois sans omettre le bon jus qu’on n’hésitera pas à saucer avec du pain bien frais. On pourra aussi faire un vœu puisqu’on mange des petits pois pour la première fois de la saison.
Elles auraient dit : "C'est un régal."
SE SOUVENIR / L'antan - Page 6
-
Les petits pois.
-
L’antan : le café.
Alors qu’on est invité à dîner chez des amis et qu’on sait qu’ils boivent plus souvent maintenant du café décaféiné, on leur en apporte d’un fournisseur de qualité et on leur précise qu’il a été décaféiné à la vapeur. Le cadeau est apprécié et, en fin de repas, on le goûte pour le plaisir de chacun. Son goût est doux comme un biscuit qu’on y aurait trempé.
Mais le goût est riche de son histoire, et il rappelle, tout à trac, le café de l’antan.
Ce café était cher ; mais parce qu’on était très pauvre. C’était une denrée qu’on a cru longtemps être rare ; on l’utilisait avec parcimonie ; on l’achetait dans de gros paquets ; un gros paquet même, peut-être en début de mois. Même quand on se fut habitué au café moulu dans des paquets de 250 grammes, aux filtres et à la cafetière électrique, on continuait à dire que c’était bien cher, le café, et qu’il ne fallait pas le gâcher. On pouvait entendre cela : « Je viens de faire du café, il est tout frais. Tu en veux ? » Le café tout frais, c’était comme une fête. Quand il en restait, on le réchauffait dans la petite casserole en zinc dédiée à cet effet, celle dont le manche en bois roulait sur lui-même et qu’on prenait avec précaution, parfois avec un chiffon plié en huit pour ne pas se brûler en touchant le métal du bout du manche. Jeter le café qui restait pour en refaire d’autre, voilà ce qui était une hérésie ; laisser au fond de sa tasse quelques gorgées de café, voilà ce qui signalait combien on était désinvolte par rapport à la dureté de la vie. Le plus souvent, on faisait le café le matin pour que celui qui soit rentrait de l’usine soit y partait puisse se réconforter. Dans la journée, on buvait ce qui restait et quand il n’y en avait plus, et bien, on attendait.
Et, quand, chez les amis à qui on avait apporté le décaféiné, on s’était vu proposer à nouveau une tasse, on s’est encore étonné de ce que dans ce monde il semble qu’on puisse être approvisionné de tout, tout le temps.