Le matin, on a terminé la lecture d’un livre fort, Une seconde vie, de François Jullien, livre arrivé à point nommé dans ce temps de jachère qu’on est en train de vivre et qui va se poursuivre, on le pense, encore un certain temps. A plusieurs reprises, dans cet ouvrage, on a compris combien les livres étaient importants pour l’auteur : des compagnons de vie.
Et qui dit être lecteur, dit être re-lecteur. François Jullien a tant relu qu’il en parle avec une belle expérience : « ce livre, maintenant, je le reprends. Je peux enfin commencer à le choisir. (…) Car la re-lecture n’est plus pressée de tourner la page : la présence en est l’horizon suffisant ». (page 162).
Ici, on a toujours beaucoup relu. Bien souvent, un livre qu’on a beaucoup aimé, on le relit une deuxième fois tout de suite. Il y a aussi les relectures qui durent depuis des années ; par exemple Le rivage des Syrtes, de Julien Gracq, La Princesse de Clèves, de Mme de La Fayette, et bien sûr La recherche du temps perdu, de Proust.
François Jullien parle de Madame Bovary. On ne l’a relu qu’une fois. Il y a longtemps. Sachant qu’un livre vient à la lecture à bon escient et que re-lire « permet (…) un redéploiement des possibles » (page 168), on reprend Madame Bovary sur les étagères de la bibliothèque. En voici la première phrase : « Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. »
le rivage des syrtes
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Passer la soirée avec Emma Bovary.
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Passer la soirée sur le rivage des Syrtes.
Parce qu’on est en train de lire, encore plus lentement que d’habitude car on s’arrête constamment pour revenir aux livres qu’il cite, le dernier livre d’Alain Corbin, Une histoire du silence, passer la soirée à relire de larges passages du Rivage des Syrtes, de Julien Gracq.
Les livres de Gracq sont là, tout près, dans la chambre calme et silencieuse : ils ont un espace à eux sur les étagères. Il y a des années de cela, on les a tous recouverts de papier cristal pour les protéger de la poussière. Le volume qu’on prend en main ce soir est pourtant quelque peu défraîchi : la couverture en papier cristal, justement, est déchirée, et malgré le soin qu’on en a pris, le livre semble avoir été manipulé tant de fois... Oui, c’est vrai qu’on le feuillette souvent.
« Il y a dans notre vie des matins privilégiés où l’avertissement nous parvient, où dès l’éveil résonne pour nous, à travers une flânerie désœuvrée qui se prolonge, une note plus grave comme on s’attarde, le cœur brouillé, à manier un à un les objets familiers de sa chambre à l’instant d’un grand épart. Quelque chose comme une alerte lointaine qui se glisse jusqu’à nous dans ce vide clair du matin plus rempli de présages que les songes : c’est peut-être le bruit d’un pas isolé sur le pavé des rues, ou le premier cri d’un oiseau parvenu faiblement à travers le dernier sommeil ; mais ce bruit de pas éveille dans l’âme une résonnance de cathédrale vide, ce cri passe comme sur les espaces du large, et l’oreille se tend dans le silence sur un vide en nous qui soudain n’a pas plus d’écho que la mer ». (page 109).