Tout au bout du camp d’Auschwitz-Birkenau, dans la neige et sous les arbres, le silence est assourdissant. Là, on extermina sans relâche.
Il fait froid. Une légère brise se lève et fait se balancer une branche, ce qui attire notre regard vers elle. On voit les légères boursouflures de ce qui sera bourgeon puis feuille. A ce moment-là, à cet instant-là, on remarque cela : sur cette branche, un frémissement du Printemps qu’on aime tant. On sourit. Etty Hillsum qu’on avait emmenée avec soi dans son cœur se fait encore plus présente et on se tourne vers celui avec qui on a parlé longtemps tout à l’heure de Charlotte Delbo et qui nous a lu des poèmes de poètes fauchés eux aussi par la barbarie. Il ne connait pas Etty Hillsum, alors on lui en parle.
« Mes enfants, je suis pleine de bonheur et de gratitude, je trouve la vie si belle et si riche de sens. Mais oui, belle et riche de sens, au moment même où je me tiens au chevet de mon ami mort et où je me prépare à être déportée d’un jour à l’autre vers des régions inconnues ».
« Je ne me déroberai à aucun des orages qui fondront sur moi dans cette vie, je soutiendrai le choc avec le meilleur de mes forces. Mais donnez-moi de temps à autre un cours instant de paix. Et je n’irai pas croire, dans un mon innocence, que la paix qui descendra sur moi est éternelle, j’accepterai l’inquiétude et le combat qui suivront. J’aime à m’attarder dans la chaleur et la sécurité, mais je ne me révolterai pas lorsqu’il faudra affronter le froid, pourvu que vous me guidiez par la main. Je vous suivrai partout et je tâcherai de ne pas avoir peur. Où que je sois j’essaierai d’irradier un peu d’amour, de ce véritable amour du prochain qui est en moi. Je ne veux rien être de spécial. Je veux seulement tenter de devenir celle qui est déjà en moi, mais cherche encore son plein épanouissement ».
Le silence reprend. On repart. Après trois pas que la neige alourdit et ralentit, on ramasse une feuille morte qu’on glisse dans le carnet qu’une amie nous a offert à Noël et dans lequel on avait recopié ces mots d’Etty Hillsum.
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Son écriture et sa voix.
Après le dîner, il s’agit de monter dans le bureau à la recherche de la recette de la marmelade d’oranges car, en fin de semaine, on aura en cadeau des oranges amères. Beaucoup.
Sonates de Mozart : 14, 15, 16.
Dans la grande boîte où on range les recettes, on farfouille. On accède enfin au livre de cuisine familiale d’une époque où le beurre semblait être la base de toute recette.
Le livre est d’un format assez petit. Il ne se ferme plus : trop de rajouts de pages de magazines déchirées, de bouts de papiers tâchés, de marque-pages. Dans la partie « Confitures et marmelades », on le sait là, ce bout de papier-là sur lequel elle a écrit comment faire la marmelade d’oranges. Au stylo bille bleu. Avec des lignes qui montent un peu. Des tirets. Des mots soulignés : «attendre 24 heures », « le lendemain seulement ». On lit la recette dans sa tête et c’est comme une belle histoire car on entend sa voix. On l’entend encore !