Passer la soirée à lire Marcher, une philosophie, de Frédéric Gros, un très joli livre apporté par le Père Noël. Tous les grands marcheurs y sont : Rousseau, Nietzsche, Thoreau, … et Rimbaud, dont l’auteur rappelle, outre les marches incroyables, « Je suis un piéton » (p. 74), disait-il de lui-même, qu’il est mort à Marseille, où il était « de passage » (p. 75).
On ne se souvenait pas que Rimbaud était mort à Marseille. Mais on se souvient d’avoir longtemps gardé dans le sac à dos un exemplaire de ses poésies parce qu’on aimait le lire en marchant, ou quand on s’arrêtait pour faire une pause. Un premier exemplaire de poche, à la couverture bleu clair sur laquelle il y avait peut-être la fameuse silhouette de Rimbaud croquée par Verlaine, un volume très usé, corné, rafistolé, avait été perdu lors d’une randonnée dans les Alpes, sans doute au Col du Bonhomme. On l’avait remplacé par l’exemplaire toujours là : un livre de poche aussi, avec le visage de Rimbaud qui se devine en négatif, dans les tons bruns. Les pages sont quasiment toutes décollées ; mais le livre s’ouvre encore aux pages qu’on aime : Ma bohème
"Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées
…
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou"
Et bien sûr Le bateau ivre qu’on sut longtemps intégralement :
"Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs
…
Je sais le soir
L’aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes"
Et on laisse sur le côté le livre de Frédéric Gros pour replonger dans Rimbaud et le relire jusqu’au plus profond de la nuit.
"J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse."
LIRE / Livres du matin, du sac à main, du soir - Page 50
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Passer la soirée avec Rimbaud.
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Passer la soirée avec Marie-Thérèse.
Passer la soirée (en fait, plusieurs soirées, car on a pris son temps), avec le dernier livre d’Elisabeth Badinter, Le pouvoir au féminin, biographie de Marie-Thérèse d’Autriche.
Ce qui est bien dans ce livre, c’est que ce n’est pas une biographie du genre liste de ce qui s’est passé dans la vie d’une impératrice, mais un questionnement sur l’ensemble d’une vie : pourquoi ? comment ? pourquoi ? que ressent-elle pour agir ainsi ? qu’est-ce qui la guide ? etc.
Et forcément, la lecture est lente car parsemée des questionnements de la lectrice qui suit Marie-Thérèse et ceux et celles qui l’entourent, Marie-Elisabeth, Marie-Anne, Marie-Antoinette, Marie-Caroline, Elisabeth-Christine, Marie-Amélie, Christine-Louise, François-Etienne, Léopold, Joseph, Frédéric, Catherine, … grâce à des lettres innombrables, à travers une Europe où on parle souvent le Français. On prend aussi son temps pour réfléchir à ce qu’est ce corps symbolique que nous avons tout à chacun. Marie-Thérèse avait plusieurs journées dans une : elle était femme, elle était épouse, elle était mère, elle était reine. Quand elle devint reine, personne ne la prit au sérieux car c'était une femme et elle dut se battre pour s'imposer. Elle fut jeune et belle, puis, avec le temps et les maternités successives, son teint se flétrit, elle devint obèse et son mari partit voir ailleurs. Elle aimait ses enfants, ils étaient malades, elle les soignait, certains mouraient, elle avait du chagrin mais repartait travailler car le devoir l’appelait. Ses enfants survivants finirent, pour la plupart, par partir aux quatre coins de l’Europe et elle ne les voyait plus ; elle savait seulement qu’ils n’en faisaient qu’à leur tête et elle s’inquiétait beaucoup ; elle se disputait constamment avec son fils aîné qui voulait prendre sa place et pensait qu’elle faisait tout de travers.