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MOISSONNER / Bonheur du jour quotidien - Page 161

  • Gelati.

    A la nuit tombée, il fait bon et, comme on l’a fait déjà depuis plusieurs soirs, on sort marcher. On a l’impression que tous les habitants sont là, à prendre le frais. On en reconnait quelques-uns qu’on a croisés le matin même aux abords du marché, portant un panier à provisions d’où sortaient ces longues courgettes italiennes, fines et tordues. Une différence toutefois : ce soir, ces mêmes personnes se sont mises sur leur trente-et-un. On est dépassé par des enfants qui courent et qui piaillent tout autant que des oiseaux au Printemps. Des parents, fiers, promènent leurs progénitures dans des poussettes ou des landaus. Des terrasses bordent ce corso. A l’intérieur, au comptoir, des gens debout parlent aussi.
    On va et on vient dans les ruelles, on fait un crochet sur la grande via dont on aime les arcades et le sol carrelé. On décide de manger une glace. La devanture est encore plus bariolée que les passants du soir. Le granite est remué posément dans un grand réservoir. On va bientôt choisir quand arrive une nuée d’enfants, ceux qu’on a déjà croisé peut-être tout à l’heure et qui étaient comme une nichée d’oisillons qui savent désormais voler. Ils se collent à la devanture, les mains sur la vitrine et disent tout haut ce dont ils ont envie. On leur laisse la place car, de toute façon, ils envahissent totalement l’espace, certains contournant même la vitrine pensant mieux voir et mieux se faire entendre. Le marchand de glaces lui aussi les accueille en souriant et il commence à les servir, les uns après les autres avant même que les accompagnatrices rejoignent le groupe. Il suit fidèlement les choix de parfums, toujours confirmés par un index tendu vers le pot de glace dans lequel il plonge la cuillère et, quand il pose la glace au sommet du cornet, dans des gestes précis, ses yeux brillent tout autant que ceux des enfants. Chaque cornet est donné avec une petite serviette en papier blanc et chaque enfant dit merci et repart lécher sa glace. Une fois tous les enfants servis, les monitrices choisissent aussi, et quand tout ce monde est parti, il y a un moment de silence jusqu’à ce que le marchand dise, dans un léger souffle : …. Bambini…
    Puis, on s’approche soi-même de la vitrine. On met les mains contre la vitre. On montre du doigt les parfums qu’on désire. On hésite. On change. On revient à son premier choix. On regarde les cornets que propose le marchand, comme si on pouvait choisir entre une boule, deux boules ou trois boules. Tre. On surveille les gestes du marchand. On attrape son cornet avec précaution, prêt à lécher la première coulure. On dit grazie et on repart en marchant tranquillement le long de la via et en léchant la glace dans la fraîcheur du soir.


  • Le vase bleu.

    La technologie est bien utile pour aller et venir sur la route des vacances. Mais elle l’est encore plus quand elle tombe en panne et qu’elle permet de se perdre. Plus aucune voix pour indiquer qu’il faut prendre la deuxième ou la troisième sortie d’un rond-point. On prend donc une sortie au hasard, aidé en cela par la position peu claire de panneaux routiers dont on confond, en plus, les couleurs.
    Et nous voilà sur des routes sinueuses. On sait qu’on doit aller vers le Nord : on s’aide du soleil de matin pour se diriger. De part et d’autre, des champs, des maisons parfois, également quelques hameaux. Pris au jeu, alors qu’on repère la direction des grandes artères sur lesquelles il faudra rouler vite, on poursuit cette promenade aléatoire parce que le paysage est vraiment très beau. On atteint des sommets de collines, on redescend vers des villages et on finit par s’arrêter sur une place ombragée pour aller prendre dans une pasticeria de la foccacia pour le pique-nique. C’est alors qu’on repère la boutique d’un antiquaire. Elle est étroite et tout en longueur. On y entre. On circule dans un fouillis d’objets divers. L’odeur d’humidité s’intensifie au fur et à mesure qu’on progresse vers le fond du magasin. On soulève des tasses à café en fine porcelaine – elles sont bien souvent orphelines de leurs cafetières et parfois ébréchées. On regarde quelques gravures aux cadres dorés dont les verres sont désormais ternis par le temps. On s’arrête devant une jolie petite table aux pieds joliment travaillés. Au moment où on va quitter cet antre de poussière, on contourne une vitrine qui contient de la vaisselle. C’est là qu’on le voit, le vase bleu. Il mesure à peu près vingt-cinq centimètres de hauteur. Sa panse est décorée de feuilles de lierre d’un bleu intense reliées entre elle par des lignes dorées. Son col se rétrécit ; il est bleu ciel et ajouré. L’embouchure est ondulée et bordée d’un liseré lui aussi doré. On ne partira pas sans ce vase. Comme on n’ose pas ouvrir soi-même la vitrine qu’on devine grinçante et fragile, on appelle l’antiquaire. Il sort le vase et le présente, tel un trésor. On le prend dans la main. On conclut l’affaire. Le vase est précieusement emballé dans du papier journal.
    On reprend la route. A la sortie de ce village, les pancartes ne laissent planer aucun doute sur la direction à prendre. C’est comme si on pouvait, maintenant, suivre les grands axes.